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DEUXIÈME PARTIE.
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LIVRE IV. DE GUAM AUX ÎLES SANDWICH INCLUSIVEMENT.
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LIVRE IV
DE GUAM AUX SANDWICH INCLUSIVEMENT CHAPITRE XXVII. Traversée de Guam aux îles Sandwich; séjour dans ces îles. L'Exploration de la partie des Mariannes qui gît au Nord de Guam, nous occupa pendant les journées du 5 au r 6 juin, et donna lieu aux remarques dont nous avons précédemment rendu compte, tant dans cette histoire que dans la division nautique et hydrographique de notre voyage. Desirant d'accélérer notre route vers les îles Sandwich, oû nous appeloit la suite de nos opérations, nous profitâmes d'une brise favorable pour nous élever en latitude et chercher les vents nécessaires à l'exécution de nos projets. "Le 18, nous coupâmes l'anti-méridien de Paris; circonstance peu importante en elle-même, mais qui nous rappela que nos amis en France comptoient minuit quand nous avions midi à bord. Le 29, un de nos gabiers, ayant, pour célébrer sa fête, bu un peu outre mesure, tomba la tête la première du gaillard d'arrière dans le faux-pont et se tua. Ii étoit Breton et se nommoit Rio; c'étoit un fort bon homme, qui fut universellement regretté: chacun convint cependant que la mort étoit venue à point pour fui; mauvais ménager, insouciant sur son avenir, ayant dépensé pour boire tout ce qu'il avoit gagné durant ses fréquentes navigations, il étoit destiné à traîner une vieillesse des plus misérables. "A mesure que nous avancions dans le vaste espace de mer que borne d'un côté le Japon et de l'autre la côte occidentale d'Amérique, nous trouvâmes des brumes de plus en plus épaisses et froides, qui nous pénétrèrent d'une humidité continuelle. Toutefois, à des rhumes |
prés, cette constitution de l'atmosphère n'apporta point d'altération notable dans l'équipage, et même eut le bon effet de produire une détente salutaire dans les fibres du corps, irritées depuis plusieurs mois par la chaleur et l'action d'une vive lumière. Cette température au reste n'exerça sur nous qu'une influence de courte durée, et qui cessa dès que nous pûmes faire route à l'Est, en tirant vers le Sud. "Le 16, les vents ayant passé au Nord-Est, le thermomètre baissa subitement de 4 degrés centigrades et passa à 16 degrés, température encore assez forte, mais qui néanmoins nous donna une impression de froid très-incommode; ce qui prouve, ainsi que le fait observer M. de Humboldt, que l'excitabilité des organes augmente par l'uniformité et l'action prolongée des stimulus habituels." (M. Quoy.) Les 5 août, à neuf heures du matin, la vigie nous annonça terre dans l'Ouest: c'étoit la côte orientale d'Owhyhi, au dessus de laquelle nous pûmes apercevoir les hauteurs qui couronnent cette capitale des Sandwich. Jusqu'alors nous avions cru sur parole que Mowna-Roa étoit la montagne la plus considérable de cette île, mais Mowna-Kaah nous parut à vue d'oeil l'emporter sur elle en élévation. Tout en regrettant que d'impérieuses obligations ne nous permissent pas d'explorer en détail ces rivages, if fallut nous borner à en saisir superficiellement les contours, puis forcer de voiles pour gagner la côte occidentale de l'île, où nous espérions de découvrir un mouillage favorable à nos desseins. Le 6, ayant doublé la pointe Sud d'Owhyhi et nous trouvant en calme, nous vîmes bientôt plusieurs pirogues qui se dirigeoient vers nous; toutes avoient un balancier et ressembloient beaucoup aux petites pirogues mariannaises que nous avons décrites. Nous échangeâmes avec les insulaires des pastèques et du poisson contre de petits couteaux. Ces Indiens ne se montrèrent pas moins enjoués que ne le furent en pareille circonstance nos bons Carolinois. Quelques femmes arrivèrent aussi, et par leurs gestes impudiques ne nous laissèrent aucun doute sur le but de leur visite; mais je leur interdis tout accès sur le vaisseau. Au reste, si toutes les Owhyhiennes eussent ressemblé à celles-là, il n'auroit pas été difficile, même à l'homme le plus prompt |
à s'enflammer, de suivre le conseil du poëte latin, en s'interdisant des plaisirs qui ne pouvoient manquer de trainer après eux le dégoût et les regrets. Sperne voluptates: noce: mea dolore voluptas (1).
Les vocabulaires de la langue des Sandwich que nous avions à bord, étoient si défectueux, et l'orthographe si peu appropriée à notre manière de prononcer, qu'il nous fut presque impossible de nous faire entendre autrement que par signes. Pour donner un exemple de cette ambiguité d'écriture, nous nous bornerons à citer le seul mot Toaï-haï ou Koaï-haï (2), qui signifie nappe d'eau et s'applique à la principale des baies de la côte occidentale d'Owhyhi; il est écrit Toeaigh par Vancouver, Toe-yah-yah par Cook, et Towaïhae par d'autres voyageurs anglais. La journée du 7 se passa encore au milieu des calmes: nous n'eûmes pas moins de vingt pirogues constamment le long du bord; et ceux qui les montoient nous obsédèrent à tel point, que je fus obligé de leur interdire absolument l'entrée du vaisseau, me réservant de la permettre aux chefs seulement. Un de ces derniers arriva de bonne heure dans la matinée: il se nommoit Poui, et appartenoit à l'un des villages en face desquels nous nous trouvions. J'acceptai avec d'autant plus de plaisir le cadeau de cocos, d'ognons et de bananes qu'il vint m'offrir, que depuis long-temps nous étions privés de végétaux frais. Après avoir répondu à son attention par un présent assez considérable, si on le compare à la valeur des objets que j'avois reçus, j'engageai ce chef à déjeûner avec moi; il accepta sans façon, ainsi qu'une autre espèce d'officier à sa suite, qui s'annonça d'abord comme pilote, et que j'accueillis en cette qualité, mais que je chassai ensuite lorsque je m'aperçus de son ignorance. Poui me demanda la permission de faire monter sa femme, qui étoit restée dans la pirogue; j'y consentis, et elle se mit à table avec nous, en dépit du tabou (3). Je ne tardai pas à me convaincre que (1) Horace, Epist. lib. t. |
j'avois pour convives de véritables mendians; tout étoit pour eux un objet de convoitise: aussi fallut-il, . pour rester bons amis, leur donner le verre, l'assiette, la bouteille et la serviette même dont ils s'étoient servis; encore ces cadeaux, loin de les satisfaire, ne les rendirent que plus exigeans. Poui imagina d'acheter mon habit d'uniforme et de m'offrir en échange quatre cocos: il vouloit un fusil, de la poudre de guerre, il vouloit des étoffes, il vouloit tout ce qui flattoit sa vue, et paroissoit de mauvaise humeur à chaque refus qu'il essuyoit de ma part. Pour mettre un frein à ce débordement de prétentions saugrenues, je lui déclarai que je ne donnerois plus rien, à moins qu'on ne m'apportât des cochons dont j'avois besoin pour l'approvisionnement de mon vaisseau: il promit de m'en envoyer le lendemain; mais il se garda bien d'en rien faire, et jamais je ne l'ai revu. Une chose qui m'auroit beaucoup étonné, si je n'avois connu déjà la voracité des habitans de Rawak et des Carolines, c'eût été de voir la quantité prodigieuse d'alimens qu'engloutissoient plutôt que ne mangeoient ces gens-là. Poui savoit quelques mots d'anglais, et, par ce moyen, il me fut moins difficile de le comprendre. il m'annonça la mort du roi de ces lies, Taméhaméha (1), si bien connu par l'activité de son génie et son brillant caractère, et m'apprit que Riorio (2), fils de ce souverain, avoit succédé à son père, sans que la paix eût été aucunement troublée. Grand et fortement constitué, Poui avoit la physionomie noble, quoique un peu farouche, et le corps couvert de cicatrices qui ne paroissoient pas religieuse des Sandwichiens, défend aux deux sexes de manger non-seulement à la même table, mais encore dans la même maison. Nous reviendrons ailleurs sur cette singulière coutume. |
l'effet des armes. Tout annonçoit chez lui l'habitude du commandement. Étant à se promener avec moi sur le gaillard d'arrière, et voyant .plusieurs personnes de l'état-major, il s'informa si elles étoient arii [nobles], et, sur ma réponse affirmative, il s'empressa de leur toucher la main; puis, apercevant près de hi un matelot, au lieu de le traiter avec la même politesse, il leva ie pied et le lui présenta d'un air de mépris. Cette boutade fit beaucoup rire aux dépens du pauvre matelot, qui se retira peu content des manières dédaigneuses de ce haut et puissant seigneur. Une petite brise s'étant déclarée le 8 à la pointe du jour, j'en profitai pour m'avancer au Nord jusque devant la baie de Kayakakoua (1). J'allois envoyer un officier pour sonder ce mouillage, lorsqu'une belle pirogue vint à bord avec le chef ou, comme on dit maintenant, le gouverneur de l'île: c'étoit le prince Kouakini, ou Kaïroua, surnommé aussi John Adams (2), nom qui lui fut donné dans son enfance, et sous lequel il est assez généralement connu. C'étoit un homme de vingt-huit à. vingt-neuf ans, de la taille de 6 pieds 3 pouces, et d'un embonpoint proportionnément supérieur encore à sa stature gigantesque; il avoit une figure agréable et douce, un air affable et bienveillant: il étoit vêtu d'un simple langouti en indienne, et accompagné d'un très-petit enfant muni d'un émouchoir en plume. D'après l'assurance qu'il me donna que je trouverois sans peine ici les bestiaux nécessaires au ravitaillement de mon vaisseau, je me dirigeai sur la ville qui étoit en face et formoit le point le plus remarquable de la baie, et j'y laissai tomber l'ancre à moins d'un mille de terre. Mouillage â Kayakakoua. — Kouakini me surprit par une instruction dont je ne I'aurois pas cru capable. Ayant appris que je naviguois en découverte, il me demanda en assez bon anglais si j'étois venu aux Sandwich par la route du cap Horn, ou bien si j'avois passé d'abord au Cap de Bonne-Espérance. Il s'informa aussi avec intérêt des nouvelles de Buonaparte, et voulut savoir si, comme on le lui avoit assuré, l'île Sainte- (1) Ce lieu porte encore le nom de Kaïroua, l'un de ceux qui sont affectés au gouverneur d'Owhyhi. (voyez planche n.° 15.) |
Hélène avoit été engloutie avec toutes les personnes qui s'y trouvoient. J'ignore quel est l'auteur de ce conte; mais il étoit si bien accrédité aux Sandwich, qu'il me fallut répondre plusieurs fois à la meme question. Ce jeune chef m'apprit que le roi Riorio, ayant quitté, à la mort de son père, la ville de Kayakakoua, où se trouvoient ses principaux magasins,, ses ateliers et ses chantiers de construction, étoit allé fixer sa résidence au village de Kohaïhaï, dans la baie de ce nom, et y tenoit alors si cour. La paix, il est vrai, n'avoit pas été troublée à la mort de Taméhaméha; mais plusieurs des principaux chefs de l'île ayant élevé des prétentions sur lesquelles on n'étoit pas encore parfaitement d'accord, il régnoit dans les relations politiques un état de vague et d'indécision qu'on cher- choit en ce moment à arranger. Parmi les personnes attachées à la cour de Riorio, on comptoit les femmes du roi défunt, les princes et princesses du sang royal, les principaux chefs des îles Sandwich, ceux de l'île Atouaï et de Wahou exceptés, et les Européens qui sont à Owhyhi. A son arrivée, Kouakini me fit cadeau de quelques fruits: voulant capter sa bienveillance, je lui offris un manteau de drap écarlate qui parut lui faire plaisir; puis, après avoir de' eûné ensemble, nous descendîmes à terre dans mon canot. Mon but étoit de lui rendre sa visite, de voir sa famille et de choisir un lieu propre à faire des observations magnétiques; je voulois aussi presser le départ de l'exprès qu'il m'avoit promis d'envoyer au roi pour lui faire part de mon arrivée, de mes besoins et de mes demandes, formalité sans laquelle rien ne pouvoit m'etre délivré. Nous abordâmes sur la grève avec beaucoup de facilité, le ressac y étant presque entièrement nul. Je vis dans le voisinage du débarcadère le lieu où avoit existé le palais, ou, plus exactement, la maison de Taméhaméha; il n'en restoit que la place, cet édifice ayant été brûlé pour des raisons que nous exposerons ailleurs. Une foule d'oisifs, et un assez grand nombre de soldats armés de fusils tenus d'une manière bizarre, marchoient sans ordre cà et là: ces derniers, vètus comme leurs compatriotes d'un langouti et d'un manteau en écorce de mûrier à papier, sembloient moins occupés à faire une garde rigoureuse autour de nous |
qu'avides de voir des étrangers dont les habits d'uniforme sur-tout sembloient les émerveiller. Je fus conduit dans une petite case propre et bien construite, quoique simplement en bois et en feuilles de palmier; elle étoit occupée par deux femmes d'une trentaine d'années, dont l'une, épouse de Kouakini, étendue sur un bois de lit à l'européenne recouvert de plusieurs nattes et garni de rideaux en indienne à fleurs, me tendit obligeamment la main en me disant aroha [amitié]. Qu'on se figure une grande femme surchargée d'obésité, étalant à nu sans façon ses robustes appas à nos regards stupéfaits, et qu'une pagne ployée en plusieurs doubles, à la manière du pays, enveloppoit seulement de la ceinture en bas, tandis que sa main, plutôt par un manége de coquetterie que par pudeur, ramenoit de temps en temps sur une de ses épaules une seconde pagne. Cette colossale princesse se nommoit Kéohoua; sans être jolie, sa figure, dont notre planche 83 pourra donner une idée exacte, n'étoit pas dépourvue de dignité. L'autre femme, qui étoit son amie, et qui n'avoit rien à lui envier en fait de corpulence, se vautroit sur une natte étendue à terre. Beaucoup de curieux des deux sexes étoient accroupis à la porte, en dehors de cette case, tandis que les soldats qui rôdoient tout autour faisoient entendre de temps à autre une petite cloche dont je ne pus alors deviner l'objet, mais qui, plus tard, me parut destinée à marquer l'instant où les soldats devoient changer la direction de leur marche. J'admirai en sortant une belle batterie de canons voisine, que Kouakini me montra en me conduisant chez ses trois soeurs (1), veuves de Taméhaméha. Elles étoient absentes, et le prince fut obligé de me faire lui- même les honneurs du logis. Une quantité de belles étoffes du pays, pliées avec soin et rangées en tas, formolent une espèce de divan assez commode, sur lequel nous nous assîmes; dans le reste de l'appartement,' plusieurs personnes se tenoient accroupies sur des étoffes du même genre qui couvroient le sol. La femme du prince et sa compagne ne tardèrent pas à arriver, et tout de suite elles se mirent à plat ventre par terre, (1) Enfans ainsi que lui de l'ancien roi de Mowi, elles furent épousées toutes trois pas Taméhaméha, à l'époque où il fit la conquête de cette île |
presque en face de l'endroit où nous étions assis, en appuyant simplement leur menton sur un petit coussin de forme cylindrique qui leur fut offert. Dans cette posture, qui paroît être ici du meilleur ton, elles nous regardoient fixement et prenoient part à la conversation avec autant de vivacité que de grâce. Elles avoient à la main, pour s'essuyer la figure, un mouchoir à l'un des angles duquel étoit attaché un petit miroir qu'elles consultoient souvent avec une sorte de complaisance. Kouakini, voulant me faire les honneurs de sa cave, fit apporter un flacon en cristal, rempli d'une espèce de vin blanc, que je ne jugeai pas très-spiritueux, et qui ressembloit un peu pour le goût au madère. Un seul verre, entortillé dans je ne sais combien de morceaux d'étoffe, ayant été débarrassé de ces enveloppes, .le prince commença par boire une rasade; j'en fis autant, ainsi que les officiers qui m'avoient accompagné; et les autres personnes présentes, hommes et femmes, se contentèrent, si elles voulurent, des santés que nous leur portâmes. Cependant on servit à la princesse et à sa compagne quelques poignées de petites graines noires (de pastèque apparemment), que l'on plaça sur un tapis, en quelque sorte sous leur nez, et qu'elles se mirent aussit6t à gruger une à une en les dépouillant de leur coque avec les dents, et cela avec autant de promptitude et de dextérité qû eût pu le faire un écureuil. Je desirois voir les chantiers et les principaux ateliers de Taméhaméha; Kouakini s'empressa de m'y conduire, et je lui en sus d'autant plus de gré, qu'il marche péniblement, à cause de son extrême embonpoint, et que je l'obligeois à sortir pendant la plus forte chaleur du jour, ce que les Sandwichiens n'aiment guère. Nous ne vîmes pas moins de quatre hangars fermés à clef, et destinés à la construction des grandes pirogues de guerre; d'autres servoient à mettre à l'abri du soleil quelques canots de forme européenne. Ailleurs, c'étoient des bois de construction et du bois de sandal; des lingots en cuivre, une quantité prodigieuse de filets de pêche, qui tous me parurent être en très-bon état. Pius loin, sur le bord de la mer et dans un lieu isolé, sans doute par crainte du feu, on avoit installé la forge et l'atelier de tonnellerie, et, en remontant, sur la berge voisine, plusieurs cases (pl. 86) appartenant à Kraïmokou, premier ministre du roi (pl. 84, fig. 1); dans |
l'une se trouvoient des instrumens de navigation, tels que boussoles, sextans, thermomètres et montres, dont une même étoit un chronomètre, ce qu'assurément je n'eusse pas soupçonné. Deux autres magasins, construits en maçonnerie, mais dans lesquels nous n'entrâmes pas, parce que le roi en garde les clefs lui-même, contiennent les liqueurs fortes, la poudre de guerre, le fer, les étoffes, et autres marchandises précieuses. Un des morais (1) du roi défunt étoit dans la partie septentrionale de la ville, à côté de son tombeau, énorme cabane fermée de tout côté. Celui de Riorio étoit au contraire au Sud. Sur ma demande, Kouakini mit à notre disposition deux cases contiguës, devant lesquelles une plate-forme en pierre nous parut p,ropre à recevoir nos instrumens, et dès le lendemain nous commençâmes à y faire quelques observations de magnétisme et d'astronomie. Nos médecins-naturalistes, de leur côté, parcouroient le pays d'alentour, sous la direction d'un guide que Kouakini leur avoit donné, et examinoient les productions de la nature." Dans le dessein de nous rendre à la montagne qui avoisine la ville vers le Sud-Est, dit M. Gaimard, nous traversâmes d'abord des champs stériles, où végétoient à peine quelques arbustes clairsemés; mais, parvenus à une certaine hauteur, nous vîmes un terrain d'une plus riche apparence où l'on cultivoit le mûrier à papier, l'arbre à pain, les jambiers, le tabac, les choux, les patates douces et les ignames. On nous fit boire de l'eau d'une délicieuse fraîcheur. Un grand nombre de femmes nous poursuivoient avec l'intention manifeste de nous offrir leurs faveurs, ou, pour parler plus exactement, d'obtenir les nôtres: celles qui étoient trop vieilles pour prétendre à séduire nos coeurs, nous exhortoient vivement à couronner les feux de leurs jeunes compagnes, et nous montroient du doigt, comme des retraites propices, les cases des environs. "Une autre fois, en cheminant le long de la côte au Sud de Kayakakoua, pour gagner un petit village, nous frîmes accompagnés par des hommes et des enfans qui, pour des épingles, portoient nos effets et (1) Morai, sorte d'enceinte ois sont contenues les idoles des insulaires; ils appellent plus particulièrement ces temples héiao et héiaou |
prenoient pour nous de petits poissons, des crabes, des coquilles, &c. A notre arrivée, nous vîmes une jeune et gentille Owhyhienne nommée Mourée, sur le point d'achever sa toilette, c'est-à-dire, de peindre d'une zone blanche la partie de ses cheveux noirs et assez roides qui entouroit son front élevé; elfe étoit bien faite, et n'avoit sur le corps aucune .de ces pustules, aucune de ces cicatrices dégoûtantes qui déparoient l'épiderme d'un grand nombre de ces insulaires. Elle avoit le nez droit et légèrement épaté, le sein ferme et bien placé, la bouche petite, et de fort jolies dents. Le père avoit fondé sur les charmes de cette belle enfant l'espoir d'une magnifique rétribution: une soixantaine de femmes et de jeunes filles se mirent à chanter à l'entrée d'une grotte voisine; on eût dit l'hymne de l'hymen; jamais concert ne me parut plus ravissant. La nouveauté du spectacle et sa bizarrerie nous rappelèrent les récits piquans du séjour de Bougainville à Tahiti, que jusque-là nous avions crus exagérés." L'exprès qui avoit été envoyé au roi ne fut de retour que le Io dans la matinée; sa majesté m'engageoit à venir mouiller dans la baie de Koaïhaï, où tout, m'assuroit-on, étoit préparé pour nous satisfaire, et m'envoyoit, pour faciliter le trajet, son premier pilote Keïhé-Koukouï, surnommé Jack par les Anglo-Américains (voyez pl. 84, fig. 3). Je serois parti tout de suite pour ce nouveau mouillage; mais la brise de terre dont j'avois besoin ne devant s'élever que sur les neuf heures du soir, nous continuâmes jusqu'à la fin du jour nos travaux à l'observatoire, et M. Duperrey eut la satisfaction de compléter l'esquisse géographique de la baie de Kayakakoua. Au moment où nous nous préparions à retourner au vaisseau, Kouakini m'envoya plusieurs cochons, des chèvres, des choux, des cocos, et une assez grande quantité de patates blanches et rouges. Voulant de mon côté lui faire un cadeau d'adieu, je l'engageai à venir dîner à bord: mon offrande consistoit en un baril de 100 livres de poudre, une assez grande quantité d'outils de charpentier, et un beau manteau de drap écarlate. Je crus devoir me montrer d'autant plus généreux, qu'il avoit mis plus de grâce à bien nous accueillir et à répondre aux diverses questions que nous n'avions cessé de fui adresser |
Vers la fin de notre dîner, nous reçûmes la visite inattendue de la princesse sa femme, toujours accompagnée de son amie inséparable: ces dames m'apportoient, comme gage de leur souvenir, de fines étoffes de leur pays; je les priai d'accepter en retour quelques bagatelles qui parurent beaucoup les satisfaire. Mes hôtes m'ayant quitté, je fis mes dernières dispositions pour mettre sous voiles; Keïhé-Koukouï demeura chargé de diriger la route jusqu'à Kohaïhaï. Malheureusement ce qui le contraria dans l'exercice de ses fonctions, ce fut de me voir venir souvent sur le pont pendant ta nuit: son amour-propre étoit blessé que je ne lui accordasse pas une entière confiance; il cherchoit à me le faire comprendre par des gestes, et par ces mots en mauvais anglais: me no sleep, me look, me speak [je ne dormirai pas, je veillerai à tout, je donnerai les ordres nécessaires]. Je dois lui rendre la justice de dire qu'il montra constamment autant d'intelligence que d'habileté: j'admirai sur-tout avec quelle précision il prévoyoit les changemens du temps; une fois entre autres, quoique nous n'eussions qu'une brise très-modérée, il voulut absolument que je fisse prendre deux ris aux huniers et serrer les petites voiles, parce que, disoit-il, nous allions sous peu d'instans recevoir une forte bourrasque, et la bourrasque eut lieu en effet. Il avoit tiré son pronostic d'un nuage d'une forme particulière et à peine perceptible, qu'il me fit remarquer s'élevant au- dessus de la terre. Au reste, il me tint parole, et ne ferma pas l'oeil de toute la nuit. Si notre pilote étoit un homme très-attentif, ses manières contrastoient souvent d'une façon fort étrange avec nos habitudes européennes. Selon l'usage de ses compatriotes, il se levoit de table au milieu cru repas, et, frappant sur son ventre comme pour indiquer qu'il ne pouvoit plus manger, il s'en alloit en disant mahona [je suis rassasié]; rarement restoit-il plus de quinze ou vingt minutes assis, et toutefois il mangeoit abondamment. Faisoit-il trop chaud, rien ne lui paroissoit plus simple que d'ôter son habit; mais, ce qui nous choquoit davantage, c'étoit de le . voir se moucher dans sa serviette: quant à lui, son air satisfait n'annonçoit nullement qu'il crût avoir commis une incongruité. Mouillage â Kohaïhaï — Le 12, dès la pointe du jour, nous étions |
près d'arriver an mouillage dans la baie de Kohaihaï, lorsqu'une grande pirogue double arriva à bord; elle étoit montée par Kiaïmoukou, surnommé Cox, principal chef ou gouverneur de l'île Mowi, et frère de Kouakini. C'étoit un homme de 5 pieds 6 pouces passés, très-gros, assez mus-culeux, d'une physionomie grave mais agréable (voyez pl. 82). Un Fran-çais de Bordeaux, appelé Rives, établi dans ces îles depuis douze ans, i'accompagnoit, et porta la parole en qualité de compatriote: il me dit que Kiaïmoukou étoit envoyé par le roi pour me complimenter sur mon arrivée et me faire connoître que j'étois attendu avec grande impatience. Sur les assurances qui me furent données, je saluai le pavillon sandwichien de onze coups de canon, qui me furent rendus en nombre égal par une batterie établie à terre près de la résidence royale. M. Rives étoit un homme de petite stature et d'une constitution grêle; il étoit en bottes, et assez propre, mais vêtu d'un habit de soie dont l'excessive ampleur révéloit qu'il n'avoit point été taillé sur le patron de celui qui le portoit. II s'exprimoit en français avec assez de difficulté, et ne paroissoit pas d'ailleurs avoir reçu une éducation fort soignée. Kiaïmoukou et sa suite, M. Lamarche et moi, nous descendîmes ensemble dans mon canot, avec l'intention de faire visite au roi (1); le monarque m'attendoit déjà sur la plage, vêtu d'un grand costume de capitaine de vaisseau anglais, et entouré de toute sa cour. Malgré l'aridité épouvantable de cette partie de l'île, le spectacle qu'offrit cette réunion bizarre d'hommes et de femmes nous parut majestueux et vraiment pittoresque. Le roi, posté en avant, avoit ses principaux officiers à quelque distance derrière lui: les uns portoient de magnifiques manteaux de plumes rouges et jaunes (pl. 85) ou bien en drap écarlate (2); d'autres de simples pélerines dans le même genre, mais où les deux couleurs tranchantes étoient parfois nuées de noir: quelques-uns étoient coiffés de casques (pl. 85, 89 et 90). Un nombre assez considérable de soldats, çà et là dispersés, répandoient, par la bizarrerie et i'irrégu- (1) Riorio; il paroissoit avoir de vingt-quatre à vingt-cinq ans. |
larité de leur costume, une grande diversité sur cet étrange tableau: nui ordre, nul ensemble de tenue et de mouvemens ne régnoient.parmi eux; chacun portoit son fusil comme il lui convenoit ou selon qu'il le trouvoit plus commode. Tous étoient ceints d'un iangouti (1); mais la plupart avoient en outre une énorme houppelande d'un calmouk brunâtre et grossier; fiers de ce baroque accoutrement, ils se pavanoient devant nous avec complaisance, sans se douter le moins du monde que leur tournure fût à nos yeux une chose fort grotesque. Près du rivage, une espèce de hangar léger avoit été construit pour la circonstance: la,, les femmes du roi, toutes resplendissantes de jeunesse, parées avec goût et même avec élégance, et se faisant distinguer par l'expression de douceur qui se peignoit sur leur physionomie, com- posoient un groupe gracieux et ravissant, auquel le jeu continuel des émouchoirs, agités autour d'elles par leur gens, sembioit en quelque sorte imprimer le mouvement et la vie. Je m'avançai vers le roi, qui me toucha la main avec cordialité, et me fit dire, par M. Rives, qu'il ailoit me saluer de sept coups de canon. Je commençois à lui répondre, lorsqu'il me tourna brusquement le dos, pour veiller, je pense, à l'exécution de sa promesse. L'interprète me demanda pardon pour sa majesté, qui, quoique vêtue à l'européenne, n'entendoit rien à ce que nous appelons complimens ou étiquette de cour: je m'en étois bien aperçu moi-même, et j'avois résolu de me mettre plus à l'aise à l'avenir. Dès que la salve fut finie, Riorio revint à moi, et me fit une petite inclination de tête, à laquelle je répondis.de la même façon. Ii m'engagea ensuite à venir me reposer et prendre le frais dans la maison royale; mais je lui demandai la permission d'aller d'abord saluer les reines ses femmes: sur son consentement, je m'avançai vers elles et leur touchai la main, qu'elles me tendirent cordialement. Je remarquai sur-tout la haute taille (2) et la (1) Nous avons souvent parlé de cette espèce de ceinture portée par les sauvages; notre planche 85 donnera une idée très-exacte de ce vêtement, et de la manière dont il est placé et maintenu autour du corps. On le nomme ici maro, ainsi que dans plusieurs autres archipels de l'Océanie. |
gentillesse de Kamahamarou (1), sa femme favorite, alors âgée, je pense, de dix-sept ans, et qui étoit de plus sa demi-soeur du côté de son père. La maison du roi, où M. Lamarche et moi nous entrâmes ensuite, n'étoit qu'une case de t o à 12 pieds de long, sur une largeur un peu moindre; le soi en étoit tapissé de nattes, ainsi qu'il est d'usage aux Sandwich. A cette circonstance près, on ne sauroit mieux comparer cette demeure royale qu'aux cabanes construites par des bergers dans certaines provinces de France, pour se mettre accidentellement à l'abri. Quoi qu'il en soit, je fus surpris de l'extrême fraîcheur que nous y éprouvâmes, malgré l'ardeur suffocante du soleil au dehors. Sa majesté s'étant assise par terre, nous l'imitâmes; l'interprète se mit en face de nous, et tous les courtisans s'accroupirent dans l'intérieur de la case. A la porte, mais toujours en dedans, étoit un officier qui, portant une grande et belle lance en bois rougeâtre (pl. 85), nous parut avoir l'emploi particulier de suivre par-tout le souverain. A quelque distance, en dehors, erroient sans ordre les soldats de la garde, et le bruit de leur sonnette, comme à Kayakakoua, se faisait entendre par intervalle. Je renouvelai au roi les demandes en ravitaillement que Kouakini lui avoit déjà transmises de ma part. Il me promit que dans deux jours j'aurois à bord tout ce qu'on pourroit réunir à Owhyhi, et que le reste me seroit délivré à mon arrivée à Mowi, où il pensoit que je devrois me rendre pour compléter ma provision .d'eau avec facilité. Satisfait d'abord de ces promesses, j'eus bientôt lieu d'apercevoir que l'autorité du jeune roi étoit encore mal établie, et ses volontés souvent contrecarrées par quelques-uns des principaux chefs de l'île, bien moins disposés à fui accorder une aveugle obéissance qu'à entrer en lutte avec lui. Riorio ne cessoit de tenir les yeux fixés sur mon épée; il s'en entre- (1) Ce nom qu'on prononce aussi Ta-méha-marou signifie l'ombre du solitaire. La jeune reine prit ce nom à la mort de son père Taméhaméha, en signe de sa profonde douleur.Cette même princesse, venue plus tard en Angleterre avec le roi son mari, mourut à Londres ainsi que lui en juillet 1824, des suites de la rougeole. Leurs dépouilles mortelles ont été rapportées à Wahou (pl. 15) par la frégate anglaise la Blonde, que commandoit le capitaine Byron |
tenait avec les officiers qui l'entouraient; enfin il me pria de lui en montrer la lame, et je m'empressai de le satisfaire. Sur la demande qu'il me fit si je n'en avois pas une pareille à bord, il me fut facile de comprendre que la mienne lui faisait envie: je la remis donc dans ie fourreau, la plaçai entre ses mains, et témoignai que je la lui donnais avec plaisir. Il hésita d'abord; il ne voulait pas, disoit-il, me désarmer: je répliquai qu'on n'avait pas besoin d'armes quand on étoit au milieu de ses amis; alors il la garda sans plus faire de façons; mais il exigea que j'acceptasse en échange la belle lance que portoit l'officier dont j'ai parlé plus haut: je la reçus comme un gage de souvenir. A la suite de cette lutte de générosité, Riorio, à l'instar des Anglais, m'engagea à boire un verre de vin avec lui; nous allâmes dans une case voisine, qui, éloignée de la première d'une portée de fusil, nous parut être sa salle à manger. Nous nous y assîmes sur deux fauteuils préparés pour M. Lamarche et pour moi; le roi et les personnes qui l'accompagnoient s'étendirent par terre sur des nattes. Peu après on nous servit d'un assez mauvais vin que je jugeai être du madère frelaté. Il étoit indispensable que j'allasse faire visite aux reines veuves de Taméhaméha; le roi voulut nous accompagner jusqu'à la porte de leur demeure, où il nous laissa entrer seuls, attendu que ce lieu étoit taboué pour lui. M. Quoy, que nous rencontrâmes, se joignit à nous. De toutes les princesses qui se trouvaient ià, Kaahoumanou (1) fut la seule qui attira nos regards par l'agrément de sa figure; les autres étaient à-lafois vieilles et fort laides. "C'était, dit M. Quoy, un spectacle vraiment étrange que de voir dans un appartement resserré, huit ou dix masses de chair à forme humaine, demi - nues, dont la moindre pesoit au moins 300 livres, couchées par terre sur le ventre. Ce ne fut pas sans peine que nous parvînmes à trouver une place où nous nous étendîmes aussi pour nous conformer à l'usage. Des serviteurs avaient continuellement en main, soit des émouchoirs en plumes, soit une pipe allumée, qu'ils faisoient circuler de bouche en bouche, et dont chacun prenoit quelques bouffées, (1) Ka-ahou-manou, nom qui signifie le manteau de plumes. |
d'autres massoient les princesses. Ces colosses féminins, qu'on eût dit n'exister que pour manger et pour dormir, nous regardoient la plupart d'un air stupide. Kaahoumanou, dont le capitaine Vancouver nous a transmis l'intéressante histoire, et qui avoit été la favorite de Taméhaméha, ne nous parut point encore arrivée au déclin de l'âge, quoique depuis ce temps vingt-cinq années se fussent écoulées (1). Elle étoit très- grande, et, comme toutes les autres, surchargée d'embonpoint. En ce moment, indisposée et se plaignant de ressentir des douleurs générales, elle poussoit des soupirs, et se iamentoit de manière qu'on l'eût dite près d'expirer, ce que son encolure rebondie et son visage de prospérité sembloient démentir. Je prescrivis quelques médicamens, que M. Rives se chargea d'administrer." Il est facile d'imaginer que notre conversation ne fut pas très-soutenue; mais d'excellentes pastèques qu'on nous servit nous fournirent le moyen d'en dissimuler la langueur. M. Rives et un Angio-Américain qui se trouvoit là n'y touchèrent point; habitans du pays, ils se croyoient tenus d'observer la règle commune qui interdit aux personnes des deux sexes de manger ensemble sous le même toit. On avoit annoncé l'arrivée du premier ministre, Kraïmokou (voyez pl. 84, fig. z), chef très-considéré, habile et influent dans les affaires, et que j'étois bien aise de voir; cependant, comme il ne venoit pas, et que ie roi, lassé d'attendre, étoit déjà parti, je sortis dans l'intention d'aller rendre visite au respectable Anglais, M. John Young (pl. 82, fig. 2), qui fut si long-temps l'ami et le sage conseiller du roi Taméhaméha. La maison de cet intéressant vieillard (2), située au sommet d'une colline qui domine le village de Kohaïhaï, est bâtie en pierre, bien aérée et salubre. Je le trouvai assis au pied de son lit, car depuis quelque temps il étoit malade: la mort du roi l'avoit beaucoup affecté. Il partageoit avec lui, en quelque sorte, le suprême pouvoir; faveur qui lui fit plus d'un ennemi et plus d'un jaloux. Riorio, à la vérité, conservoit pour lui beaucoup de considération et d'égards; mais ce jeune prince, encore peu (1) En 1819, la reine Kaahoumanou étoit âgée d'environ quarante-trois ans. |
expérimenté dans le maniement des affaires d'état, avoit de la peine à contenir dans le devoir quelques chefs insubordonnés que son père avoit soumis par les armes. Taméhaméha, dans le principe, n'étoit le chef que d'un district peu étendu de la partie septentrionale d'Owhyhi; par son habileté, par sa force corporelle, sa prudence et son esprit entreprenant, il étoit parvenu à mettre sous sa dépendance son île natale toute entière, et même à pousser ses conquêtes jusqu'aux îles Mowi et Wahou, dont il s'étoit emparé. Quelques-uns des chefs qu'il avoit soumis étoient demeurés les ennemis secrets de lui et de sa famille, et n'avoient pas perdu l'espoir de recouvrer leur indépendance; les autres lui étoient sincèrement attachés, soit par affection pour sa personne, soit en vue de leur propre intérêt. Parmi les premiers, Kékouakalani, chef influent d'un district d'Owhyhi, se faisoit sur-tout distinguer par son animosité contre Riorio, son parent; et cette animosité étoit telle, qu'il ne parloit pas moins que de renverser la puissance royale et de massacrer tous les Européens établis aux Sandwich: c'étoient eux, selon lui, qui avoient ie plus contribué à les asservir et à concentrer la souveraineté dans les mains d'un seul. Aucun acte d'hostilité n'avoit encore eu lieu; cependant on craignoit la guerre, quoique le jeune roi et ses amis fissent tous leurs efforts pour l'éviter: Espérant parvenir à une conciliation, Riorio, d'après les avis de Kraïmokou, avait rassemblé à Kohaïhaï une espèce de congrès des principaux chefs jusque- là soumis à l'autorité de son père: chacun y faisoit entendre ses réclamations; le jeune roi accordoit ou refusoit certains priviléges, se relâchoit sur quelques-unes de ses prérogatives, tenoit ferme dans d'autres occurrences, et comptoit, par cette politique, consolider sa domination. Une des choses qui déplaisoient le plus aux autres chefs, c'étoit que le roi se fût arrogé le monopole exclusif du bois de sandal, seule substance dont le commerce eût pu jusque-là procurer de grands avantages. Non- seulement Taméhaméha avoit eu tous les profits qui résultoient de la vente de ce bois aux étrangers, mais encore personne n'avait été appelé à recevoir une part quelconque des marchandises européennes accumulées dans ses magasins. Plutôt que de s'en faire une source de largesses en faveur de ses vassaux, il aamoit mieux laisser périr ces marchandises en |
pure perte: ce n'étoit point par avarice; mais il craignoit qu'en augmentant les ressources de ces hommes, que la contrainte seule retenoit pour la plupart sous son joug, il ne leur fournît les moyens de s'en affranchir. Tel étoit l'état des affaires à mon arrivée aux Sandwich. M. Young, en me donnant ces détails et en me faisant part de ses inquiétudes relativement au fils de l'ancien souverain de ces îles, m'assura que mon arrivée sur un bâtiment de guerre pourroit faire une diversion utile aux intérêts de Riorio: il suffisoit que je témoignasse de la bienveillance et que j'offrisse publiquement ma protection à ce jeune prince, pour diminuer les prétentions de ses ennemis. Au reste, ajouta-t-il, si je desire que la paix s'établisse ici sur des bases solides, ce n'est pas pour moi que je fais des vœux; je suis vieux et infirme, et ne pousserai probablement pas loin désormais ma carrière; mais, à mon heure dernière, il me seroit doux de voir le fils de mon bienfaiteur, du grand Taméhaméha, en possession paisible de l'héritage de son père. Quant à moi, inutile désormais au monde, je verrois approcher la mort sans regret, si l'on pouvoit mourir sans regret loin de sa patrie ! Ici de touchans souvenirs émurent la sensibilité du vieillard, et lui firent répandre des larmes. Nous fûmes quelques instans sans nous parler, et livrés l'un et l'autre aux pensées diverses que sa réflexion avoit fait naître en nous. Young déploroit amèrement que les Anglais, qui avoient tant fait jadis pour la civilisation des îles Sandwich, les eussent depuis long-temps entièrement abandonnées. Taméhaméha avoit reçu en 1816 une lettre du gouverneur de Port-Jackson, Macquarie, à laquelle en étoit jointe une autre du comte de Liverpool, adressée à Taméhaméha par ordre du prince régent d'Angleterre: celle-ci, en date de i 8 I 2, étoit accompagnée de deux boîtes, dont une contenoit un chapeau à trois cornes garni de plumes, et un habit d'uniforme rouge, galonné; la seconde étoit remplie d'outils et de quelques autres objets de quincaillerie. M. Macquarie, qui avoit été chargé d'envoyer aux Sandwich la lettre et le présent du roi d'Angleterre, s'excusoit de n'avoir pu le faire plus tôt, faute, disoit-il, d'avoir à sa disposition un vaisseau qui se rendît dans ces îles. Ce gouverneur annonçoit à Taméhaméha que le roi de la Grande-Bretagne avoit donné ordre que l'on construisît au Port - Jackson un petit |
navire pour lui être offert. Ce bâtiment eût dû être mis sur le chantier quatre mois après la date de la lettre du comte de Liverpool et être expédié aux Sandwich aussitôt après son entière construction; cependant, en août 1819, c'est-à-dire environ sept ans après, rien n'étoit encore arrivé (1). Ces communications étoient les dernières que Taméhaméha eût eues officiellement avec l'Angleterre. Habitant des Sandwich depuis une trentaine d'années, Young avoit été témoin et souvent même acteur dans tous les grands événemens auxquels la haute capacité de Taméhaméha avoit donné naissance. Il répondit toujours avec précision à mes questions, et je regrettai que son état de souffrance me fit un devoir de ne pas trop prolonger l'entretien. Marié à la fille d'un chef, il en a eu six enfans, trois garçons et trois filles, qui tous sont d'une figure intéressante; quant à la mère, qui a pu être fort bien, eile n'est plus jeune maintenant. Au reste, cette famille, grâce aux bontés de Taméhaméha, vit ici dans l'opulence: elle possède plusieurs maisons bâties en pierre et des terres considérables, tant à Owhyhi que sur les autres îles. Ne voulant pas retourner à bord sans avoir vu le premier ministre Kraïmokou, je me fis conduire de nouveau à la maison des vieilles reines, où l'on pensoit qu'il devoit être', et où je le trouvai en effet. Il étoit couché tout de son long sur les mêmes nattes que les princesses, et les uns et les autres dormoient profondément. Le cérémonial fut. court entre nous. J'invitai ce haut fonctionnaire à venir dîner à bord avec moi, ce qu'il accepta, en me priant, lorsque je partirois, de m'arrêter devant sa maison, située sur le bord de la mer, et où il se trouveroit. Je le quittai pour aller prendre congé du roi. Je croyois que Kraïmokou avoit voulu passer chez fui pour soigner sa toilette; mais il n'en étoit rien: il s'embarqua dans mon canot, n'ayant pour tout costume que son langouti, et par-dessus une chemise européenne qui n'étoit même pas extrêmement propre. Il me demanda la permission d'emmener sa femme favorite, Rikériki (pl. 83); j'y consentis: mais il ne lui permit point de se mettre à table avec nous, (1) Ce navire, long-temps attendu, ne parvint, dit-on, aux Sandwich qu'au commencement de 1822, et fut remis à Riorio, roi alors régnant |
parce que, prétendoit-ii, elle étoit tabouée; en conséquence, elle resta sur le pont, où je lui envoyai quelques confitures qu'elle mangea avec plaisir. Toutefois, quand son mari, suivant la coutume de ses compatriotes, se sentit rassasié et eut quitté la table, elle vint prendre sa place, et se dédommagea de la contrainte momentanée où elle avoit été tenue, en avalant coup sur coup plusieurs verres d'eau-de-vie avec une délectation très-remarquable. Dès que la nuit fut venue, je fis, à la demande de Kraïmokou, lancer quelques fusées que nos Sandwichiens contemplèrent avec de grandes exclamations et en répétant màitâi, màitâi [bon, bon]. Après ce petit divertissement, mes convives retournèrent à terre. Je desirois entretenir le roi sur les intérêts de son gouvernement. J'allai chez lui le 13, et le trouvai seul avec Tamahamarou sa femme favorite. Je n'ignore pas, lui dis-je, l'alliance qui existe entre le roi des îles Sandwich et celui de la Grande-Bretagne; ce dernier étant aussi ami et allié du roi de France, je viens vous déclarer que le bâtiment que je commande et ceux qui viendront plus tard aux Sandwich sous le même pavillon, seront toujours disposés à vous accorder les secours propres à maintenir la tranquillité de vos états et la force de votre autorité. J'ajoutai que les mauvais desseins de quelques-uns des chefs de l'île d'Owhyhi m'étant connus, s'il croyoit que ma déclaration pût avoir sur eux quelque influence utile, je i'autorisois à la leur faire connoître. Riorio parut satisfait des témoignages d'intérêt que je lui donnois; mais il pensa qu'en répétant moi-même devant l'assemblée des notables ce que je venois de lui dire, l'effet en seroit meilleur et plus assuré. Le premier ministre Kraïmokou, la reine veuve Kaahoumanou et M. Young, auxquels on fit part ensuite de cette ouverture, en approuvèrent fort la mise à exécution; ce dernier sur-tout m'assura connoître assez les Sandwichiens pour *ne pas douter que le renouvellement de ma déclaration au roi ne remplît de crainte les envieux et les turbulens, encore indécis, et que ce jeune prince y trouveroit un gage de paix et de puissance. Ces considérations me firent demander pour le lendemain une convocation extraordinaire de l'assemblée, à laquelle je promis d'assister. A l'heure convenue, le conseil se tint sous une espèce de hangar |
construit en face d'une case ordinaire. Malgré l'ardeur du soleil, le roi s'obstina à rester en dehors, par la raison péremptoire que ce local étoit taboué pour lui. Je m'attendois à le voir en grand costume; mais il étoit au contraire vêtu fort négligemment d'un langouti, avec une pagne assez commune sur l'épaule. A l'exception de Kékouakalani (1), qui refusa de s'y montrer, les chefs convoqués prirent séance, c'est-à-dire qu'ils s'accroupirent sur des nattes étendues par terre. La reine Kaahoumanou parut bientôt aussi: elle étoit vêtue d'une assez belle étoffe de soie, couleur gorge de pigeon, drapée avec grâce plusieurs suivans portoient un parasol européen, des émouchoirs, &c. Personne ne se leva pour la recevoir, ni même n'eut l'air de faire attention à eile: cependant c'étoit elle qu'on avoit attendue pour ouvrir la séance. M. Rives, qui parloit la langue sandwichienne avec facilité, me servit d'interprète. Je commençai par rappeler aux chefs de l'île l'espèce de traité qui avoit eu lieu jadis, par l'intermédiaire du capitaine Vancouver, entre le roi Taméhaméha et le souverain de l'Angleterre; je déclarai ensuite qu'en ma qualité de commandant d'un bâtiment de guerre du roi de France, allié lui-même de la Grande - Bretagne, j'étois bien aise de faire connoître tout l'intérêt que je portois à Riorio, et combien je desirois que la tranquillité et le bon ordre régnassent dans ses états; que si malheureusement la guerre civile éclatoit aux îles Sandwich, les navires marchands qui depuis tant d'années viennent y faire le commerce, ne voudroient plus y relâcher, et que les vaisseaux des souverains amis de leur roi, jaloux de protéger sa puissance, ne manqueroient pas de sévir vigoureusement contre quiconque auroit méconnu son autorité. Je les engageai donc à se réunir de bonne foi autour d'un prince qui n'avoit en vue que la prospérité et le bien-être de leur pays; j'insistai enfin sur le bonheur qui naît de la tranquillité, du commerce et des progrès de la civilisation. (1) Riorio ayant jugé convenable, peu de temps après notre départ des Sandwich, de détruire dans ses états, par un seul acte d'autorité, le culte des idoles et les restrictions du tabou, trouva une vive opposition dans Kékouakalani, qui leva contre lui une armée; Kraïmokou eut l'honneur de commander les troupes royales, et de détruire dans un combat fameux, livré à deux ou trois milles de Karakakoua (voyez pl. 15), le chef insurgé, qui, complétement vaincu, périt lui-même dans l'action |
Cette allocution parut produire l'effet qu'on s'en étoit promis: cependant la reine Kaahoumanou prit la parole, et dit que le vif intérêt que je témoignois au roi lui faisoit craindre que ses ennemis n'accréditassent le bruit, déjà perfidement répandu, que non-seulement j'avois demandé la cession. des îles Sandwich pour le roi de France, mais que cette cession avoit été faite entre mes mains; chose qui ne manqueroit pas, dasoit-on, d'irriter les Anglais, et de décrier la bonne foi des Sandwichiens. Frappé de cette réflexion, je m'empressai de repousser avec force ces insinuations malveillantes, en affirmant que, lors même que Riorio, de son propre mouvement, eût voulu mettre son pays sous la dépendance de la France, je n'aurois pu ni voulu me prêter à une pareille transaction. Après m'avoir témoigné publiquement, ainsi que Kaahoumanou, combien ils étoient satisfaits des déclarations que je venois de faire, le roi ajouta, d'une manière gracieuse, que je m'étois assez occupé de ses intérêts, et qu'il étoit bien temps qu'il s'occupât enfin des miens. Malheureusement il y avoit fort peu de bestiaux dans le voisinage de Kohaïhaï, en sorte qu'il fallut renvoyer à l'époque de ma relâche à Mowi pour avoir la plus grande partie de ceux dont j'avois besoin: le prince me promit de me faire accompagner par Kiaïmoukou, gouverneur de cette île, et ajouta que j'aurois lieu d'être satisfait. Dans des circonstances ordinaires, il n'eût pas voulu, me dit-il, que je déboursasse la moindre chose pour mon approvisionnement; mais les ménagemens qu'il étoit obligé de garder avec certains hommes lui imposoient la nécessité de me vendre ce qu'il auroit préféré me donner: cependant il me fit cadeau de vingt cochons, et m'annonça que les autres me seroient livrés à raison de six piastres les plus gros et de deux piastres les petits. Dans une visite que Kraïmokou avoit faite la veille à bord de l'Uranie, le costume de notre aumônier frappa ses regards: informé des fonctions de cet ecclésiastique, il lui fit connoître que depuis long-temps il desiroit d'être chrétien, et qu'il le prioit, en conséquence, de vouloir bien ie baptiser; que sa mère à son lit de mort avoit reçu ce sacrement et lui avoit recommandé de se soumettre lui-même à cette cérémonie dès qu'il en trouveroit l'occasion. M. l'abbé de Quélen accueillit de grand coeur |
sa demande, et il fut résolu entre nous que l'on procéderoit à cet acte religieux aussitôt après mon retour du conseil du roi. Comme je me disposois à revenir à bord, Riorio me dit qu'il avoit envie d'assister, avec sa cour, à la cérémonie que nous allions célébrer. Je lui envoyai à cet effet mon canot, et nous le vîmes bientôt paroître, accompagné des cinq reines ses femmes (1), de Kaouiké-aouli, son frère, âgé de six à sept ans, et de la princesse Kaahoumanou; une grande suite de pirogues doubles et simples, d'hommes et de femmes composant sa cour (2), suivirent de près. Le roi étoit vetu d'une veste bleue de hussard galonnée en or, avec de grosses épaulettes de colonel; un de ses officiers portoit son sabre, un autre son éventail (pl. 90, fig. 9), deux autres d'énormes tromblons, un cinquième enfin sa pipe, qu'il étoit chargé de tenir allumée. Ces divers personnages sont représentés sur notre planche 89. A son arrivée, je saluai le monarque d'une salve de onze coups de canon. Le gaillard d'arrière avoit été décoré avec des pavillons, et l'on en avoit mis aussi sur le pont pour que les princesses s'y trouvassent convenablement assises; la reine favorite et Kaahoumanou furent placées sur des chaises en face de l'autel, qui avoit été dressé sur le pont en avant de la dunette. Enfin M. l'abbé de Quélen procéda, selon le rit d'usage, au bapteme de Kraïmokou, qui, pendant toute la cérémonie, eut l'air profondément ému (3). Quand elle fut achevée, je fis servir à mes illustres hôtes une collation sur le pont. Ce fut vraiment merveille de voir avec quelle rapidité les bouteilles de vin et d'eau-de-vie disparurent; au point que j'eus lieu de craindre que sa majesté ne se mît hors d'état de descendre à terre. Heureusement la nuit approchoit, et Riorio témoigna le desir de s'en (1) J'ai déjà parlé de Kamahamarou, la reine favorite les autres étoient Kinaou et Kékaou-onohi, toutes deux demi-sceurs du roi et soeurs de la favorite; Kékahou-rouohi, jeune femme de Taméhaméha, que Riorio épousa après la mort de son père; enfin Paou-ahi, dont le nom signifie consumée par le feu, par allusion à un accident qui faillit la faire périr dans sa plus tendre enfance. |
retourner; mais avant qu'il partît, il me fallut encore lui faire cadeau de deux bouteilles d'eau-de-vie, pour boire, disoit-il, à ma santé et à mon heureux voyage: la reine veuve en reçut autant; et chacun des assistans, prenant modèle sur le maître, se crut obligé de m'en demander aussi. Ce. n'est pas trop d'avancer que cette royale compagnie but ou emporta, dans l'espace de deux heures, ce qui auroit suffi à l'approvisionnement d'une table de dix personnes pendant trois mois. Divers -cadeaux avoient préalablement été échangés entre nous; parmi les choses qui me furent offertes par la jeune reine Kamahamarou, se trouvoit un petit manteau de plume, vêtement fort rare aujourd'hui, même aux Sandwich. A son départ, je saluai de nouveau le roi de onze coups de canon. Kraïmokou, le pilote royal Kéihé-Koukoui et M. Rives restèrent à dîner avec moi, et j'eus l'avantage - de posséder aussi M. le capitaine Thomas Meek, du navire anglo-américain l'Eagle, de Boston, qui étoit entré le matin dans la baie. Ce navire, parti depuis plusieurs mois des États - Unis d'Amérique, étoit allé d'abord faire la traite des pelleteries à la côte Nord-Ouest; de là, venu aux îles Sandwich pour y prendre du bois de sandal, il s'occupoit, en attendant cette partie de son chargement, à faire le cabotage d'île en île. En dernier lieu, il avoit apporté de Wahou, avec un nombre considérable de passagers sandwichiens, un chargement de quatre-vingt-dix tonneaux [201 60o livres avoirdupois == 91413 kilogrammes] de poé, sorte de bouillie, destinés pour la cour de Riorio. M. Meek devoit enfin partir de conserve avec le navire le Parangon, en ce moment mouillé à Wahou, et se rendre en Chine pour y vendre sa cargaison. J'appris du capitaine Meek que le dernier de ces bâtimens avoit une assez grande quantité de biscuit et de riz pour être sûr qu'il consentiroit à m'en vendre selon mes besoins. Cette nouvelle ne pouvoit m'être indifférente, puisqu'elle nous laissoît l'espoir de pouvoir compléter dans ces îles sauvages une partie aussi importante de notre ravitaillement. Après le dîner, Kraïmokou me demanda et obtint la permission de vendre à bord quelques provisions, consistant en sucre, thé, chocolat et liqueurs fortes; mais il porta le prix de ces denrées à un taux si élevé, |
qu'il ne put trouver aucun acheteur. Je donnerai une idée de ses prétentions, en disant qu'il ne demandoit pas moins de cent piastres pour un baril de mauvais rum, de la contenance d'environ dix bouteilles. En prenant congé du roi, je fui avois annoncé mon projet de mettre à la voile cette nuit même; aussi avoit-il donné ordre à Kiaïmoukou de partir avec moi, afin que, dans le délai le plus court, les provisions qui m'avoient été promises me fussent livrées à Mowi. Ce chef vint à bord à la nuit close, accompagné de plusieurs officiers et d'un assez grand nombre de gens. M. Young m'envoya aussi son chargé d'affaires. Enfin M. Rives lui-même me remit une lettre pour l'intendant de ses terres, avec ordre de me délivrer tous les cochons, poules, &c., qu'on pourroit y réunir: or, je trouvai bien l'homme auquel s'adressoit cette lettre; mais il me dit n'avoir jamais entendu parler ni des domaines dont on le qualifioit l'intendant, ni des bestiaux qu'ils contenoient. M. Lamarche, pendant notre séjour dans la baie de Kohaïhaï, avoit établi nos tentes sur la côte voisine du mouillage, et MM. Bérard, Railliard, Dubaut et lui y avoient fait assidument leurs observations, tandis que M. Duperrey, avec son habileté accoutumée, s'occupoit de 1a. géographie de la baie. Le calme qui a coutume de régner ici pendant la nuit, cessa seulement le I s à quatre heures du matin, où une brise très-foible permit que nous nous éloignassions de la côte. L'île Taltourowé étant doublée, je me rapprochai de Mowi, mais ne mis à l'ancre devant Raheina que le lendemain à midi et demi. Mouillage à Raheina. — Nous descendîmes aussitôt à terre, M. La- Séjour à Mowi. marche et moi, dans le dessein de visiter l'aiguade, et de choisir un lieu propre à l'établissement de nos instrumens. Kiaïmoukou vint avec nous, et voulut bien, à ma demande, tabouer une plate-forme voisine d'un morai et d'une maison bâtie en briques rouges, qui convenoit à nos opérations futures; cette formalité du tabouage nous assuroit que notre observatoire ne seroit point envahi par les curieux importuns. Non loin de là, l'aiguade offrit, pour l'embarquement de l'eau, toutes les commodités nécessaires. Cet objet essentiel une fois réglé, Kiaïmoukou m'engagea à faire |
avec lui une promenade le long du rivage. Je ne fus pas peu surpris de voir sur la route plusieurs vieilles femmes qui le suivoient en poussant Août. des cris et faisant semblant de verser des larmes: ces simagrées, me dit-on, avoient pour objet de témoigner leur joie du retour du gouverneur de l'île. Cependant celui-ci conservoit une gravité imperturbable. Quant aux pleureuses, elles ne pouvoient s'empêcher de sourire lorsque je jetois sur elles mes regards étonnés; après quoi elles se mettoient à criailler de plus belle. Je rencontrai sur le rivage un Anglo-Américairi nommé Butler, qui m'avoua plus tard être une sorte d'agent consulaire du gouvernement des Provinces-Unies de l'Amérique du Sud, et tenir ses pouvoirs de ce même commandant de la frégate l'Argentine, qui, croisant naguère devant Manille, avoit capturé ie brigantin de notre ami Médinilla, gouverneur des Mariannes. M. Butler ne me parut pas dépourvu d'éducation, et même je le jugeai un fort galant homme. Les aventures qui avoient déterminé son établissement dans ces parages, sont assez extraordinaires. Débarqué comme malade sur l'île Agrigan, dans l'archipel mariannais, il avoit été ramené aux Sandwich, où le mauvais état de sa santé l'avo it encore obligé de séjourner. Taméhaméha, voulant se l'attacher, lui avoit concédé des terres à Mowi, et pendant quelque temps il y avoit vécu d'une manière assez heureuse; mais, depuis la mort de ce prince, n'ayant aucune garantie pour sa propriété, il vivoit dans la crainte continuelle des vexations dont les chefs de l'île ie menaçoient quelquefois. M. Butler me conduisit à sa maison, située sur le bord du joli ruisseau qui devoit nous servir d'aiguade. J'admirai avec quelle intelligence et quels soins étoient cultivées les terres du voisinage: là se voyoient d'immenses pépinières de mûriers à papier; des champs entiers de bananiers ou de cannes à sucre d'une magnifique venue; des plantations de taros ou d'autres végétaux propres à la nourriture de l'homme; d'énormes arbres à pain répandus çà et là; enfin la fertilité et la fraîcheur du sol par-tout entretenues par des irrigations fréquentes et bien ménagées. L'habitation de M. Butler, au milieu de ce riant paysage, étoit propre et spacieuse; j'acceptai chez lui la seule chose qui pût flatter mon |
goût après une si longue promenade, un verre d'excellente eau puisée à une source des montagnes voisines, et je la bus avec un véritable plaisir. Le I.7 de grand matin, nos principaux instrumens ayant été descendus à terre, nous commençâmes aussitôt la série dè nos observations scientifiques. Kiaïmoukou, qui, depuis notre départ d'Owhyhi, avoit été constamment notre commensal, s'installa à terre le 18, et débuta par mettre un tabou général sur les denrées du pays; dès-lors il nous fut impossible d'obtenir les menues provisions que les naturels s'étoient jusque-là empressés de venir nous vendre à bord. Cette mesure, disoit-il, éto.it indispensable pour qu'on pût réunir plus promptement la quantité de cochons dont j'avois besoin, et qui devoit m'être livrée dans quatre jours. En effet, le 22, Kiaïmoukou annonça qu'il étoit prêt à entrer en marché, et M. Requin, notre commis aux revues, fut chargé de s'aboucher avec lui: mais de prime abord il resta démontré que l'affaire ne se concluroit pas rendement. Après avoir effrontément soutenu que le roi n'avoit pas promis de me faire cadeau de vingt cochons, mais seulement de dix; qu'il n'avoit pas fixé à six piastres, mais à dix, le prix des plus gros de ces animaux, l'honnête gouverneur élevoit la prétention de ne nous en vendre aucun de cette espèce que nous n'eussions acheté les médiocres et les petits, quoique la plupart de céux-ci fussent si chétifs et si maigres, que je n'aurois pas voulu les embarquer, même à titre de présent; il portoit les taros et les cannes à sucre, nécessaires la nourriture des bestiaux, à un prix tout-à-fait dérisoire; enfin il établissoit, comme condition sine quâ non, qu'on ne lui donneroit en paiement que de l'argent monnoyé et aucun de nos objets d'échange. Irrité de ces tracasseries dictées par une insigne mauvaise foi, je reçus les dix cochons, c'est-à-dire, la moitié de ce que la parole du roi m'autorisoit à exiger, et je retournai à bord, avec la résolution de remettre aussitôt sous voiles: malheureusement je n'étois rien moins que certain de trouver à Wahou assez de ressources pour satisfaire promptement à tous les besoins de la corvette; la crainte de perdre du temps et de manquer peut-être mon approvisionnement me fit donc concentrer en |
moi-même toute l'indignation que j'éprouvois, et je me résignai à faire de nouvelles tentatives pour en finir avec cet homme à quelque prix que ce fût. En conséquence, je fis armer la chaloupe et les deux grands canots, et descendis le lendemain de bonne heure à terre, tant pour faire revenir à bord les instrumens de l'observatoire que pour être en mesure d'embarquer promptement les denrées dont nous pourrions traiter. Kiaïmoukou s'étoit bien aperçu que sa conduite m'avoit mécontenté; aussi lorsqu'il vit les trois embarcations se diriger vers le rivage, il s'imagina sans doute que je voulois le contraindre par la force à souscrire aux conditions qu'il me plairoit d'indiquer; car lui qui toujours étoit venu me recevoir à môn débarquement, non-seulement n'y parut pas cette fois, mais encore abandonna sa maison, suivi de ses chefs subalternes; un seul d'entre eux eut ordre de me dire que le prince étoit au bain; ce qui, à cette heure-la, n'étoit point présumable. Quoi qu'il en fût, son absence se prolongea jusqu'a ce que la chaloupe chargée de nos tentes, de notre bagage et de nos instrumens, eutquitté l'île pour retourner à bord. A son retour, je lui rappelai les promesses du roi à mon égard, et déclarai d'un ton très -ferme que, s'il ne remplissoit pas les conditions qui avoient été réglées en sa présence à Kohaïhaï, je n'acheterois absolument rien de lui, je remettrois à l'instant sous voiles, et trouverais bien moyen de faire connoitre au roi de quelle manière ses ordres avoient été méprisés. Avant de consentir à renouer aucune affaire, j'exigeai qu'il fût établi pour première clause qu'on me livreroit les dix cochons dont j'avois été injustement frustré, et qu'il ne me seroit imposé aucune restriction dans le choix de ceux de ces animaux dont il me plairoit ensuite de faire l'achat. D'abord Kiaïmoukou ne répondit rien; il alla conférer avec ses officiers, puis me fit dire qu'à la vérité le roi m'avoit bien promis vingt cochons, mais qu'il avoit pensé que dix seulement devoient m'être remis ici, et que je prendrois les dix autres à Wahou; que cependant il consentoit à me les donner tous immédiatement. Pour le surplus nous entrâmes en accommodement: les cochons gras furent taxés à raison de |
huit piastres, et il y eut aussi de grandes diminutions sur les autres objets. La nuit étant venue nous surprendre au milieu de ces arrangemens, je vis avec regret qu'il faudrait encore y consacrer la journée du lendemain. Le 24, tout se termina enfin avec plus de facilité que je ne m'y atten dois. J'étais prêt à retourner à bord, lorsque Kiaimoukou me demanda à venir dîner une dernière fois avec moi: il me fit cadeau, avant de partir, de cinq cochons magnifiques, et d'une assez .grande quantité de végétaux; attention à laquelle je répondis de manière à ne pas demeurer vaincu en générosité. Pendant toutes nos contestations, il me fut facile de voir que Kiaïmoukou était circonvenu par un homme de très-mauvaise mine, que j'ai su depuis être un convict échappé de Port-Jackson. Ce misérable avait capté la confiance du prince, et le poussoit, j'en suis convaincu, à agir aussi peu loyalement avec nous. L'idée que nous en passerions par ce qu'if voudrait, avait pu sourire à ce dernier, et aiguillonner passagèrement sa cupidité; mais je crois que, livré à fui-même et aux impulsions de son. coeur, il se fût comporté avec toute la noblesse et la droiture qui m'avaient jusqu'alors paru faire l'essence de son caractère. Il étoit pour nous d'une trop grande importance d'arriver promptement à l'île Wahou, sur laquelle, au dire du capitaine Meek, nous devions trouver à nous ravitailler de biscuit et de riz, pour que je ne me hâtasse pas de m'y rendre. En conséquence, le 25, la brise s'étant élevée de bonne heure, j'en profitai pour faire route sous toutes voiles vers cette destination, et laissai enfin tomber l'ancre devant le port d'Onorourou le 26 dans la matinée. Mouillage â Onorourou. — Selon l'usage, quantité de pirogues arrivèrent le long du vaisseau, et furent soumises à la discipline que j'avais déjà établie. Descendu à terre, je fus reçu par MM. William-Henry Davis, Francisco de Paula Marin, et Bold, chef supérieur de l'île. Ce dernier me tendit la main en me disant aroha, et me fit prévenir qu'il desiroit saluer le pavillon français le premier; mais sur la réponse que j'avais laissé des ordres à bord pour que mon salut eût lieu immédiatement, il m'assura être préparé à me le rendre coup pour coup, ce qui eut lieu en effet. |
La chaleur étoit très-forte: M. Davis, voyant le peu d'empressement que mettoit Boki à nous offrir un gîte, nous engagea, M. Duperrey et moi, à venir nous reposer chez lui. Boki fut laissé sur le rivage: grand et d'une grosseur extrême, les jambes horriblement ulcérées, c'étoit une espèce de masse inerte jouissant à grand'peine de la faculté de locomotion. M. Davis étoit à-la-fois ici capitaine et armateur pour la traite des pelleteries à la côte Nord-Ouest d'Amérique, et du bois de sandal aux îles Sandwich. Fixé momentanément à Wahou pour les intérêts de son commerce, il y avoit plusieurs navires sous ses ordres. Par sa fortune, son éducation et ses manières distinguées (1), il devoit naturellement tenir le premier rang sur cette terre sauvage; aussi étoit-il entouré d'une haute considération. Sa maison étoit comparativement grande, spacieuse, et quoique en partie construite sur les principes du pays, eile différoit notablement des autres à plusieurs égards, sur-tout par l'ameublement. Quant à D. Francisco de Paula Marin, que les Anglo-Américains nommoient ici, je ne sais pourquoi,. Menini et Marini, c'étoit un Espagnol actif, industrieux, qui, né à Xérès en Andalousie, étoit venu fort jeune aux Sandwich, où il résidoit depuis environ vingt-six ans. Livré avec beaucoup de succès à la pratique de l'agriculture et à l'éducation des bestiaux, il avoit naturalisé à Wahou la plupart de nos légumes et de nos fruits d'Europe, et quelques-uns de ceux du nouveau monde. La vigne entre autres, cultivée par ses soins, et je pourrois même dire par ses mains, lui avoit prouvé que le sol et le climat conviennent très-bien à cette production; le vin qu'il me fit goûter étoit passable, quoique encore très-nouveau; mais je me suis assuré plus tard par moi-même. qu'il gagne en vieillissant. Parfaitement instruit des usages et des moeurs d'un peuple chez lequel il vivoit depuis tant d'années, M. Marin me donna des renseignemens fort utiles. Je dus regretter vivement de ne pas être venu tout de suite à Wahou, au lieu de visiter si péniblement et avec si peu d'avantage Owhyhi et Mowi: ici, en .effet, nous nous fussions procuré sans le (1) M. W. H. Davis étoit neveu de M. le général Amosa[sic] Davis, alors gouverneur de la province de Massachuseu, aux États-Unis d'Amérique. |
moindre embarras toutes les ressources que nous avions eu tant de difficulté à rassembler dans les deux autres îles; moins souvent obligés à changer de station et à perdre ainsi du temps, nous aurions eu plus de loisir pour exécuter, nos. observations scientifiques et pour recueillir les faits nouveaux et curieux que l'obligeance de nos amis eût bien voulu nous faire connaître. Après avoir dîné chez le capitaine Davis, nous allâmes nous promener ensemble du côté de Waïtiti, village peu éloigné d'Onorourou. Le soleil, déjà fort avancé dans sa course, répandoit cependant encore une chaleur très-intense, et dont l'impression directe ne pouvoit être modérée par l'ombrage imperceptible de huit ou dix chétifs cocotiers disséminés sur la route. Le cimetière des Européens, que nous aperçûmes sur les bords de celle-ci, offrit à nos yeux quelques monumens pour la plupart à moitié ruinés, témoignage à-la-fois de l'amitié de ceux qui les érigèrent et de l'impéritie des architectes. Au retour, je me présentai chez le capitaine Wildes, du navire anglo- américain le Parangon: M. Requin, notre commis aux revues, avoit déjà obtenu la promesse qu'il nous livreroit dès le lendemain tout le riz et le biscuit dont nous avions besoin; par un surcroît d'obligeance que je ne saurois assez reconnoitre, M. Wildes voulut bien se charger encore de nous envoyer ces denrées par ses propres embarcations. M. Davis, en conversant avec Bold, lui apprit que son frère Kraïmokou avoit été baptisé à bord de l'Uranie: mu par un desk semblable, le chef de Wahou s'empressa d'insister pour obtenir la même faveur; je lui promis d'en parler à M. l'abbé de Quélen, et de faire procéder le jour suivant à la cérémonie, si cet ecclésiastique n'y voyoit aucun empêchement. MM. Raillard et Bérard commencèrent à terre, le 27, quelques observations magnétiques sur un point voisin du rivage et de la maison de M. Marin, qui consentit de fort bonne grâce à ce que nos instrumens fussent déposés chez lui; M. Duperrey s'occupa de son côté à faire ia géographie du port d'Onorourou. Bold se rendit à bord à une heure et demie, accompagné de sa femme, |
des capitaines Davis et Wildes, et de M. Prince, subrécargue du navire l'Enterprise. Notre aumônier procéda au baptême de Boki, qui, dans la réalité, ne me parut desirer ce sacrement que parce que son frère navoit reçu. Bold n'avoit pas, à beaucoup près, l'air aussi intelligent que Kraïmokou et que les autres Sandwichiens que j'avois fréquentés jusqu'à ce jour; mais peut-être falloit - il attribuer à son état maladif l'espèce d'apathie où il étoit plongé. Trois navires anglo-américains se trouvoient alors dans le port, sans compter le bâtiment du capitaine Meek, qui devoit y revenir bientôt: l'un étoit l'Enterprise, de New-York, trois - mâts que nous trouvâmes viré en quille; le second, le Parangon, d'environ 50o tonneaux; le troisième, un très-beau brig, nommé le Knéo, de Boston, bâtiment tout neuf, construit à la demande de Taméhaméha, et qui devoit être payé moyennant t 65 tonneaux [3 00o pikols environ] de bois de sandal. Son capitaine, M. William Bacock, avoit ordre de ne le livrer à Riorio, que lorsque les engagemens contractés 'par son père auroient été remplis. Les deux autres vaisseaux stationnés à Onorourou étoient de vieux brigs appartenant au roi des Sandwich; l'un, le Forestier, paroissoit être entièrement hors de service; l'autre servoit alors de ponton de carène. M. Home étoit un des Anglo-Américains qui habitoient l'île Wahou depuis le plus long temps. J'eus occasion de le voir chez le capitaine Davis, et ensuite dans sa maison mime. Cet homme, déjà âgé, s'étant marié dans le pays, y étoit devenu père d'une assez nombreuse famille. Le plus jeune de ses enfans, petite fille de cinq à six ans, se faisoit remarquer par son intéressante figure, ses manières douces et gracieuses, son intelligence précoce et sa vivacité. Le 29, ie capitaine Wildes ayant réuni sur son bord une partie de l'état- major de l'Uranie et ceux de ses compatriotes qui résidoient à Onorourou, nous donna le spectacle d'une danse fort gaie des îles Marquises, exécutée par un des aborigènes de ces îles embarqué avec lui. Affublé du costume convenable à son rôle, c'est-à-dire, d'un diadème de nacre de perle et d'écaille artistement travaillé, d'une ceinture fort ample et d'une paire de manchettes et de jambières, le tout en cheveux humains, enfin d'un hausse-col de bois recouvert d'une multitude de petites graines d'un |
rouge très-vif, le danseur se mit à sautiller, en tenant d'abord ses jambes dans un écartement fixe; puis en les rapprochant en des sens divers l'une contre l'autre, et accompagnant ses cabrioles de mouvemens des bras, de la tête et du corps, qui, quoique bizarres, n'avoient rien que d'agréable. Cette journée avoit été fixée pour l'embarquement de notre bois à brûler: Boki i'avoit fait déposer au fort qui défend la ville; mais on refusa de nous le livrer, parce que ce chef ne vint point en donner l'ordre lui-m@me. Or c'étoit ce jour-là grande fète à Onorourou; Boki y présidoit; et malgré nos instances, il ne fut pas possible de l'en retirer un seul moment. Il ne s'agissoit de rien moins que d'une partie de maïta, jeu dont ces insulaires sont amateurs passionnés. Malgré cet inconvénient, auquel nous ne pouvions opposer que la patience, je fis cependant tout préparer pour notre prochain appareillage, que j'espérois bien pouvoir exécuter le lendemain. Le 3o, j'allai faire mes visites d'adieu aux diverses personnes qui m'avoient reçu et accueilli avec tant de bienveillance. A l'instant où je m'éloignai personnellement de terre, le fort me salua de onze coups de canon, et le navire le Parangon de trois. Je rendis ces salves en nombres égaux, aussitôt que je fus sous voiles, circonstance qui ne put avoir lieu qu'à une heure après midi. Je manoeuvrai aussitôt pour courir au Sud, afin de m'éloigner promptement de terre; mais le calme qui s'établit sur le soir, et les courans qui me drossèrent avec force,,ne me le permirent pas ce jour-là. |
CHAPITRE, XXVIII.
Description sommaire des îles Sandwich.
Le titre même de ce chapitre annonce l'intention où nous sommes de jeter un simple coup d'oeil sur les objets qui en font la matière. La courte durée de notre séjour dans ces parages, la direction forcée de nos occupations, nos stations multipliées, et la perte de temps qui en a été la suite, n'expliquent que trop cette nécessité, et nous imposent aujourd'hui le devoir de renfermer cette partie de notre relation dans le cadre le plus étroit. §. 1er Description géographique.
L'existence de l'archipel sandwichien, reconnu à une époque déjà ancienne par les marins espagnols, resta cependant encore ignorée de l'Europe jusqu'à l'instant où le plus célèbre navigateur des temps modernes vint enfin la lui révéler. La Pérouse y parut huit ans après; mais il étoit réservé au digne compagnon de l'illustre Cook, au capitaine Vancouver, de compléter la première ébauche, tracée par son maître, et de nous donner enfin une description générale du littoral de cet intéressant archipel. Ii se compose de huit grandes îles et de trois îlots, dont la carte figurée à droite de notre planche n.° 15 fera connoître les positions et les gisemens respectifs. Le groupe entier, placé presque exactement sous le tropique du cancer, entre les parallèles de 19° et 22° de latitude septentrionale, a pour limites en longitude les méridiens de 156° et 162° à l'Ouest de Paris (1). La plus grande et la plus orientale à-la-fois porte le nom d'Owhyhi; sa surface, de 3442 milles marins carrés, se (1) On trouvera, dans le paragraphe suivant, la position géographique exacte des points où nous avons observé. |
partage en plusieurs districts, notés pour la plupart sur notre plan, et paroissant avoir formé jadis autant de royaumes distincts. En s''avançant vers l'Ouest, on rencontre Mowi, avec sa surface de 517 milles carrés;,puis â côté Morokine, îlot d'un mille seulement de superficie, et Tahourowé, qui en a 45. Plus loin paroissent successivement Rend, d'une surface exactement double de la précédente; Morotoï, qui compte 121 milles carrés; Wahou, 396; Atouaï, 406; Onihow, 76; Tahoura et Orihoua, qui n'en ont chacune que deux. La surface de l'ensemble du groupe s'élève donc à 5098 milles marins carrés. Toutes ces îles sont fort élevées; mais, sous ce rapport, Owhyhiest la plus remarquable par ses montagnes de Mowna-Roa (1) et de Mowna-Kaah (2), couvertes à leur sommet de neiges perpétuelles (3). Il résulte des observations de nos prédécesseurs, que la première de ces montagnes n'a pas moins de 4838 mètres, ou environ le double du pic des Açores, et surpasse même de 28 mètres la hauteur de notre Mont-Blanc européen; que Mowna-Kaah atteint à 5486 mètres: évaluation que le simple aspect de l'une et de l'autre m'a fait regarder comme digne de confiance. On n'a pas estimé la hauteur de Mowna-Worroraï a plus de 3048 mètres. La côte Est d'Owhyhi est beaucoup mieux arrosée que la côte opposée de la même île, où l'on ne rencontre guère que des eaux à peine potables."A Kayakakoua, et sur-tout à Kohaïhaï, selon M. Gaimard, on voit beaucoup de puits peu profonds, creusés non loin du bord de la mer, et remplis d'eau saumâtre." Cependant, en s'avançant d'une ou deux lieues dans les montagnes, on rencontre de petits ruisseaux d'une eau parfaite. La seule aiguade constamment praticable pour les vaisseaux, gît à l'Est, dans la baie de Waïtia. Dans l'intérieur, on compte aussi quelques filets de fort bonne eau, et, sur les limites du village de (1) Mowna-Roa, mot à mot, montagne étendue. |
Kohaihaï une source d'eau thermale qu'on n'aperçoit qu'à l'instant de la basse mer (1). Le ruisseau qui a son embouchure au village de Raheina, sur l'île Mowi, la rivière d'Onorourou, une autre plus occidentale que nous n'avons pas vue, une troisième qui gît sur la côte Nord-Ouest de Wahou, plusieurs courans d'eau assez remarquables sur l'île Atouaï, et divers étangs disséminés çà et là sur les diverses lies; tel est à-peu-près ce qui complète la constitution hydrologique des Sandwich. Le port d'Onorourou, généralement fréquenté aujourd'hui par tous les navires européens qui viennent dans ces îles, est sans contredit le lieu le plus favorablement placé sous les rapports de l'abri qu'on y trouve, du commerce et des ressources nécessaires au ravitaillement des vaisseaux. La baie de Waïtia, dans l'Est d'Owhyhi; celles de Karakakoua, de Kayakakoua et de Kohaïhaï, sur la côte opposée; les rades de Raheina, à Mowi, et de Whymea, au Sud d'Atonal, sont les autres mouillages de ces parages les plus commodes et les plus souvent visités. Kayakakoua. — "La première bourgade, dit M. Gaimard, que nous ayons eu la facilité d'examiner, se nomme indifféremment Kayakakoua, Kaïroua et Taïroua; elle est bâtie sur le bord de la mer, et paroît composée de près de quatre cents maisons, si toutefois on veut appliquer ce nom aux plus petites cases, qui n'ont guère que deux ou trois pieds de hauteur. On ne distingue aucune rue, les habitations étant dispersées sans aucun . ordre. Ii y a de plus trois poudrières et un grand magasin en maçonnerie, recouverts d'une couche de chaux; quelques autres maisons sont aussi construites avec des pierres et de la terre, mais elles ne sont point crépies. "Là se trouvent encore, ainsi qu'on l'a dit plus haut, les chantiers, les hangars, les principaux ateliers maritimes du roi; et à chaque extrémité de la ville, deux morais ou temples païens, simples enceintes entourées de pieux, et remplies d'idoles gigantesques en bois. Près de celui du Nord, on voit le tombeau de Taméhaméha, dans lequel le corps est déposé: ce monument révéré par les insulaires, qui n'osent en appro- (1) Vancouver trouva une aiguade près de Kohaïhaï; mais elle étoit à sec quand nous y relâchâmes. |
cher qu'à une certaine distance, forme un édifice beaucoup plus vaste que la modeste habitation où résidoit le monarque de son vivant." Le sol sur lequel est bâti Kayakakoua est entièrement sablonneux; mais rien n'est affreux comme les hauteurs qui l'avoisinent: quelques misérables cocotiers qui végètent entre les maisons donnent à peine à ce sombre tableau une légère apparence de vie. Kohaïhaï — Moins étendu et plus irrégulier que Kayakakoua, Kohaïhaï a ses environs plus tristes aussi, et plus arides, s'il est possible. Ici, en effet, pas le moindre atome de verdure ne s'est offert à nos regards; on eût dit que le feu avoit par-tout exercé ses ravages. Sur une hauteur voisine de la partie méridionale du village, un morai entouré d'une muraille en pierres sèches, offroit l'aspect d'une redoute européenne. La demeure de M. Young, construite à l'européenne, se faisoit apercevoir plus loin du côté du Nord. Raheina. — La première chose que nous remarquâmes en arrivant à Raheina, ce fut une maison en briques rouges, tout auprès du débarcadère, et offrant aux vaisseaux un très-bon point de reconnoissance. Taméhaméha l'avoit primitivement destinée, dit-on, à faire un magasin; mais la construction en fut si défectueuse, qu'à peine terminée elle se dégrada à vue d'oeil. Au Sud étoit l'habitation des prêtres, et tout à côté un morai bâti sur un massif en pierres sèches, qui formoit comme une digue au bord de la mer. En avançant un peu plus vers l'intérieur, on rencontre des réservoirs creusés de main d'homme, pour la culture du taro: ils se prolongent le long de la côte, à une assez grande distance, et sont alimentés par le ruisseau de l'aiguade, qu'on y fait arriver par des canaux de dérivation. Les maisons, au lieu d'être groupées les unes auprès des autres, sont dispersées çà et fi sur une assez grande étendue de terrain, qui, par un contraste frappant avec celui qui environne les villes précédentes, offre par-tout l'aspect de la fratcheur et de la fertilité. Onorourou. — Sur le soi uni que forme unepiaine assez vaste, se développe la ville d'Onorourou, bâtie sur les bords d'un havre du même nom. Les maisons, semblables pour la plupart à celles d'Owhyhi et de Mowi, sont entremêlées cependant d'un certain nombre qui sont bâties en pierres, et appartiennent pour la plupart à des Européens ou à des Anglo-Américains. |
C'est â l'issue d'un vallon tapissé de verdûre, que la plus grande partie des habitans de l'île ont fixé leur séjour. Un fort carré, de dimensions considérables, s'élève en face de l'entrée du port, dont il est destiné à défendre l'approche. Les eaux d'une rivière qui débouche tout auprès ont été détournées et répandues pour le besoin de l'agriculture. Ces champs où la fertilité brille de tout son éclat sous des formes variées, et sur lesquels des canaux vont porter une humidité vivifiante, ces maisons dispersées de loin à loin et sans ordre, composent un ensemble qui, vu du sommet des montagnes environnantes, a quelque chose de riant et de pittoresque. Dans l'Est de la ville, et tout le long de la baie de Waïtiti, près des bords de laquelle est, dit-on, un étang salé important, se distinguent aussi de nombreuses maisons de campagne; des champs cultivés les entourent. Enfin, sur deux points distincts se trouvent des bois considérables de cocotiers. §. II.
Observations de météorologie et de physique.
En réunissant dans un seul groupe toutes les observations de température que nous avons faites à nos mouillages d'Owhyhi, Mowi et Wahou, nous en avons déduit les résultats suivans. TABLE 554A ces valeurs, que nous ont fournies ie nombre assez borné de nos expé- |
riences, il nous a paru intéressant d'en joindre d'autres qui comprennent une année toute entière, et qui ont été déduites, par le calcul, du tableau donné par M. W. Ellis dans la relation de son voyage à Owhyhi (1). Ces observations thermométriques furent faites, dit-il, à huit heures du matin, trois heures après midi, et huit heures du soir; d'où il est facile de voir que les températures moyennes qu'il en a conclues doivent donner des résulats trop forts. Ii résulte en effet de notre travail sur l'ensemble des expériences météorologiques exécutées pendant ie voyage de l'Uranie, que la moyenne arithmétique entre les observations de huit heures dû matin et de huit heures du soir donne une valeur sensiblement égale à la température moyenne de la journée: or, trois heures après midi étant un instant très-voisin de celui du maximum absolu, qui arrive ordinairement à deux heures après midi, l'influence de l'observation faite à trois heures aura été d'augmenter trop fortement le résultat moyen où on l'a fait entrer. Heureusement, M. Ellis a donné aussi le maximum absolu de tem, pérature notée par l'observateur, ce qui m'a permis, à l'aide d'un calcul. bien simple (2), de dégager les résultats mensuels indiqués par l'auteur, de l'influence fâcheuse dont il s'agit. Voici le tableau de ces quantités définitives, réduites au thermomètre centigrade. TABLE 555 (1) Voyez Narrative of a tour through Hawaii, or Owhyhee, &c.(2) Soit a la température maximum observée, qui, dans le cas actuel, est celle de 3h après midi; 2x, la somme des deux températures de 8h du matin et 8h du soir; m, la température moyenne erronée, du tableau de M. Ellis; x sera la température moyenne cherchée, et l'on aura, 2x+a/3 == m; d'où l'on tire x == 3m—a/2. C'est la formule que j'ai employée. |
L'étude du baromètre marin, consulté de deux heures en deux heures, a donné pour moyenne de tous les résultats obtenus à bord, du 9 au 29 août 1819, une hauteur de ..... 762mm,74, corrigée comme de coutume des erreurs de température, de capillarité et de niveau. L'hygromètre montre que l'époque de la plus grande humidité de l'atmosphère au mouillage est arrivée, terme moyen, à ..... 5h du matin; la moindre humidité, à ..... 2h du soir; enfin, l'humidité moyenne de la journde, à 8h du matin et 8h du soir. On dit que la pluie tombe rarement sur les côtes occidentales des îles Sandwich, et particulièrement à Owhyhi, tandis que, sur les bandes opposées et dans les vallées, on reçoit des ondées fréquentes et presque journalières. Vents: Dans l'intervalle de ving-sept jours que nous sommes restés en vue des îles Sandwich, les vents Misés du Nord-Est, petit frais, ont été dominans; les calmes se montroient plus fréquens la nuit que le jour, et quelquefois, mais irrégulièrement, nous avions des brises de terre et de mer |
près de la côte. Les vents de Nord et d'E. N. E. ont été ie plus souvent accompagnés d'un peu de pluie. Je compléterai, autant qu'il m'est possible, cet article, en transcri- Table 557-1Pendant nos diverses stations aux Sandwich, nous ne pûmes faire osciller qu'un seul de nos trois pendules en cuivre. Par suite de l'expérience faite au village de Raheina, à Mowi, par 20° 52' 7" de latitude septentrionale, nous avons conclu que le même instrument qui, réduit à + 20d de température, au vide et au niveau de la mer, faisoit à Paris 86400 oscillations en vingt-quatre heures solaires moyennes, faisoit ici, dans les mêmes circonstances, 86309osc,498. Plus favorisées, nos observations magnétiques ont été plus nombreuses; nous en consignons ci-après les résultats moyens. Table 557-2 |
§. III.
Géologie "L'archipel des Sandwich doit son origine à l'action des feux souterrains; du moins les trois principales îles que nous avons, visitées en présentent constamment les caractères. Owhyhi, la première et la plus grande, apparolt de très-loin au-dessus des flots comme un dôme immense; mais à mesure qu'on s'en approche, les trois pitons de MownaKaah, Mowna-Roa et Mowna-Worroraï se détachent, et développent aux regards leurs flancs isolés. "Le littoral de cette île est en général abrupte et peu découpé. Le sol commence à s'élever dès le bord de la mer, et s'exhausse progressivement sous une inclinaison rapide. Nous abordâmes du côté de l'Ouest, sur deux points que nous allons successivement faire connoître. "Nous avons déjà dit combien est triste et sauvage le lieu où est bâtie la petite ville de Kayakakoua; pour s'en faire une idée plus complète, qu'on imagine des couches de fer fondu, sur lesquelles seroient entassés des blocs énormes de lave noirâtre: les éruptions qui ont vomi à la surface ces amas de matières confuses, ont dû être prodigieuses. Devant nous s'élevoit une montagne [Mowna-Worroraï] dont les dernières cimes (voy. page s s z) ont plus de 3 000 mètres de hauteur, et qui, se prolongeant en pente douce au Nord et au Sud, va se terminer à deux promontoires éloignés l'un de l'autre d'environ huit lieues: cet espace est tout volcanique, couvert d'une lave noire, poreuse, légère et souvent scorifiée à la surface. Non loin du rivage, on eût dit que l'éruption venoit d'avoir lieu (z): des ondulations ferrugineuses et des (1) D'après W. Ellis (op. cit.), une éruption d'un des larges cratères du sommet de Mowna-Worroraï eut lieu vers l'année 1798, et détruisit plusieurs villages, beaucoup de plantations et de viviers. Des flots de lave comblèrent une baie profonde de vingt milles d'ouverture, et formèrent la côte qui s'avance aujourd'hui de 3 ou 4 milles dans la mer, au Nord et près du point oit est maintenant Kaïroua ou Kayakakoua. (Voyez pl. 15.) |
boursouflures en larges pâtés circulaires bombés au centre, se montroient avec des bourrelets enroulés tout autour; quelquefois la matière en fusion s'étoit tortillée sans affecter de forme régulière. "Ces laves, toutes poreuses, ne contiennent du péridot qu'à leur surface; en un seul endroit, au-dessus de la bourgade, on voit une grande quantité de blocs basaltiques rhomboïdaux, entassés sans ordre, et remplis de grains de péridot. "Plusieurs coulées assez minces ont dû avoir lieu les unes au-dessus des autres, à diverses époques; on les reconnoit à la forme différente des laves, aux couches distinctes qui les séparent, et qu'on peut enlever facilement, quelquefois avec la main. Lorsque cette matière en fusion est entrée dans la mer, l'action de l'eau paroît y avoir occasionné de longues et profondes fissures qu'on ne remarque point sur la lave qui n'a pas été immergée. "La contrée est remplie de cavernes plus ou moins vastes; cependant toutes n'ont point d'ouverture apparente à l'extérieur, et on ne les reconnoit souvent qu'au bruit qui se produit quand on marche pardessus. Les voûtes qu'il est possible d'observer sont d'une seule pièce, ou formées de larges morceaux. Dans l'une, la lave avoit subi un retrait si régulier, qu'on eût dit qu'elle avoit été taillée exprès en cintre (2). "Il ne faut que s'élever à six ou huit cents mètres pour arriver dans la région des nuages, dont l'action agit avec tant d'activité pour décomposer les substances volcaniques, que c'est dans cette région seulement que les habitans peuvent établir des cultures. Quoique les laves y soient encore très-pressées et qu'il faille les écarter pour trouver un peu de terre, la végétation y est fort belle. "Sur le second point d'Owhyhi que nous avons tisité [Kohaïhaï],
de 15 à 16 milles de circonférence; et le fond de cette cavité, de deux milles de long sur un de large, est rempli de lave dans un épouvantable état d'ébullition. Vingt-deux bouches lancent continuellement des colonnes de fumée, des flammes, et plusieurs d'entre elles des flots d'une lave étincelante qui retombe dans un bassin de feu. |
le soi paroît encore plus stérile et plus brûlé qu'à Kayakakoua. Tout l'espace que l'oeil découvre est encombré de laves noires, entre lesquelles croissent à peine et exclusivement quelques graminées. En face, la croupe de la montagne présente plusieurs cônes isolés, qui probablement furent autrefois des soupiraux ignivomes. "La baie de Kohaïhaï est peu profonde, embarrassée par un banc de madrépores parallèle à la côte. Au Nord du mouillage, un ravin profond sert de lit à un torrent à l'époque des pluies: la coupe perpendiculaire de ses bords permet de voir que les coulées inférieures sont horizontales; on en compte ainsi trois superposées, dont les jets ne paroissent pas continus. Par-dessus, la lave en montant à la surface est devenue boursouflée, crevassée et légère. Un des échantillons que j'y recueillis, et que j'ai déposé au Muséum, portoit l'empreinte d'une écorce de palmier, et c'est le cocotier sans aucun doute, seul arbre de cette famille qui croisse dans les sables du bord de la mer. "D'après ce que nous venons de dire de la constitution de ce terrain, il n'est pas étonnant qu'if ne soit parcouru par aucune rivière ayant son embouchure à la mer. Les eaux, après s'être élaborées dans les régions supérieures, sont absorbées et se perdent sous les anfractuosités des laves trop nouvelles qui forment comme une ceinture à cette île. A peine les habitans trouvent-ils au sommet des montagnes inférieures quelques filets d'eau capables de servir à leurs besoins; au bord de la mer, qu'une sorte de nécessité les force d'habiter, ifs ne font usage que d'une eau de puits saumâtre et des plus désagréables. Owhyhi, depuis le sommet jusqu'à la base, nous a paru entièrement volcanique. Ce seroit bien alors le plus grand cône que les feux souterrains aient produit. Je n'ai pu observer aucune de ses bouches ignivomes; mais on sait qu'il en existe une de ce genre dans la partie orientale de l'île (1). Par sa forme irrégulièrement circulaire, par l'élévation de ses montagnes et la matière même dont ses laves sont composées, Owhyhi a beaucoup de rapports avec l'île Bourbon. "Pendant notre route de Kohaïhaï à Mowi, nous vîmes l'îlot Moro- (1) Voyez ci-dessus la note de la pag. 558. |
kine; de loin son aspect semble indiquer qu'il a autrefois jeté des flammes. Nous cotoyâmes Tahourowé d'assez près; cette île, peu élevée, et dont la mer vient battre les falaises méridionales, est escarpée sur ce point, et formée de couches horizontales de laves. "En approchant de Mowi, ses montagnes brûlées, découpées dans le sens vertical, nous offrirent de nombreuses' pyramides pointues s'appuyant les unes sur les autres. Le sol de l'île est irrégulier, semé de montagnes moins élevées que celles d'Owhyhi, et séparées entre elles par des terres si basses, qu'à quelque distance on pourroit les prendre pour un assemblage d'îles distinctes. Son extrémité Ouest se compose de trois montagnes, ayant environ i o0o mètres de hauteur, entre lesquelles sont des vallées étroites où coulent des torrens. Leur sommet est très-souvent couronné de nuages qui augmentent d'intensité lorsque le soleil baisse sous l'horizon, et c'est à leur pied qu'est située la rade de Raheina, bor-dée, près de la côte, d'un récif madréporique. "Mowi, très-anciennement volcanisée, a subi déjà une décomposition favorable à la végétation. Un espace assez considérable s'étend depuis la mer jusqu'aux montagnes, et contient une terre meuble, argileuse, profonde, qui permet aux insulaires d'établir leurs cultures sur le point meme qu'ils habitent; ce que ne peuvent pas faire ceux d'Owhyhi, qui sont obligés de tirer de la mer une bonne partie de leur nourriture. "Derrière Raheina, et dans le grand ravin où coule le ruisseau de l'aiguade, nous avons ramassé des cailloux roulés formés en général d'une lave compacte, dure, grisâtre, parsemée de lignes et de points blanchâtres de feldspath, avec des grains de péridot; ceux - ci entroient pour un tiers dans la composition de certains galets basaltiques dont la pâte est poreuse. "L'escarpement de ce ravin permet de voir que les laves qui forment ses parois, se sont étendues par couches formant des angles d'autant plus aigus 'qu'elles sont plus inférieures. De nombreuses irrégularités s'observent dans ces coulées, que plusieurs fractures divisent en parallélogrammes plus ou moins réguliers, homogènes et compactes. Ailleurs, dans une étendue assez considérable, on remarque entre deux lits de scories poreuses à larges soufflures, une couche épaisse de basaltes dont |
les prismes sont irréguliers, verticaux et courbés. Ce basalte se confond, de chaque côté, dans des couches horizontales de lave compacte. En prenant la forme prismatique, il est aussi devenu très-sonore; ce qu'on ne remarque point clans les couches environnantes. En d'autres endroits, la matière en fusion, extrêmement ferrugineuse, a été brisée en fragmens ressemblant à des amas grenus, que je ne puis mieux comparer qu'à du plomb de chasse qui auroit été mal coulé en passant par le crible. La partie supérieure de la montagne est recouverte assez profondément d'une terre pulvérulente rouge-brun, parsemée de morceaux de laves compactes, et la végétation arborescente ne devient active que dans la région parcourue par les nuages, c'est-à-dire, tout-à-fait à son sommet. "Les foyers d'où sortirent ces nombreux pitons sont tellement anéantis, qu'on ne pourroit en retrouver la moindre trace; seulement on remarque, en descendant, deux petits pitons, débris d'une bouche de peu d'importance qui a dû exister sur ses flancs. "Dans la partie que nous avons visitée, Wahou paroît avoir été volcanisée bien plus anciennement que les deux îles précédentes. Ses montagnes, peu élevées, sont dans un état très-avancé de décomposition, ce qui leur donne quelques rapports avec celles de l'Iie-de-France. Aussi, malgré leur peu d'élévation, sont-elles très-boisées. Une circonstance particulière, qui semble se rattacher aux îles volcaniques d'une étendue médiocre et dont les montagnes ont peu de hauteur, c'est d'avoir des ports; au lieu que, lorsque d'énormes pitons s'élèvent au centre, les déjections qui en sont sorties, s'étendant uniformément et circulairement, n'ont point formé de ces profondes découpures propres à mettre les vaisseaux à l'abri. C'est du moins ce qui a eu lieu à Bourbon, à Owhyhi, à l'Ascension, et en partie à Ténériffe. "Le port d'Onorourou, situé â l'extrémité occidentale de ia baie de Waïtiti, est abrité par des récifs de madrépores. Tout annonce qu'autrefois, avant que les eaux de la mer se fussent abaissées (t), ils durent s'étendre bien avant dans le vallon qui est vis-à-vis; ce qui semble mettre un tel fait hors de doute, ce sont les bancs madréporiques spathisés qu'on rencontre dans les terres. (4) Voyez tom. I, la note qui est au bas de la page 375. |
"Une circonstance très - remarquable que présente cette partie de Wahou, ce sont deux cratères éteints, entièrement composés de pépérino basaltique. Tous deux sont très-visibles de la rade, dont ils occupent en quelque sorte le pourtour, en gisant à deux lieues de distance environ l'un de l'autre. "Le premier, qui est aussi le plus petit, très-voisin de la bourgade d'Onorourou, s'élève en cône depuis la plaine jusqu'à la hauteur d'environ 100 mètres. Sa surface extérieure présente tout autour et en grand nombre, de petites collines très-roides, séparées entre elles par des scissures profondes: un melon à côtes, coupé à ses deux extrémités, en donneroit'une juste idée. On choisit, pour y monter, la pente la moins rapide; et arrivé au sommet, l'oeil embrasse sa circonférence intérieure. Éteint sans doute depuis des siècles, son fond est uni et recouvert de graminées. Une portion de ses parois est détruite, et dans un seul endroit on rencontre des morceaux de lave pesante; tout ie reste, et la base même de cet ancien volcan, est composé de pépérino basaltique en couches A- peu-près horizontales, dont il est facile d'enlever des fragmens avec la main, tant elfes sont peu adhérentes. "Le second cratère termine à l'Est la baie de Waititi. La route pour s'y rendre est pénible et remplie de marais. Avant d'y arriver, on trouve un terrain gercé et si meuble, qu'à chaque pas on enfonce de plusieurs pouces. "Beaucoup plus considérable que le précédent, ce cirque peut avoir ^ soo mètres d'élévation. Les murailles qui le forment sont très-roides, et, pour y monter, on est obligé de se servir des mains. Parvenu au sommet, on a la vue d'un entonnoir parfait, ayant presque autant de profondeur que ses parois ont d'élévation à l'extérieur. Son contour est d'une lieue, et fermé de toute part. Le fond est uni, recouvert de graminées, et légèrement sillonné par les eaux pluviales. La partie qui regarde la mer, plus élevée, est en même temps plus abrupte que l'autre. "On ne trouve absolument, dans cet ancien cratère, que du pépérino formant des couches peu liées entre elles, assez minces, dirigées vers le centre de l'île, et dont l'inclinaison ne dépasse pas 60°. La substance qui les compose est peu dure, se brise facilement avec la main, et, dans cette division mécanique, tend à former des boules. Quelquefois des morceaux |
de lave dure et poreuse s'y rencontrent mélangés avec du péridot et des fragmens.d'une matière calcaire que, quoique atténuée, je suppose être madréporique." (M. Quoy.) §. IV.
Fertilité du sol; productions.
De toutes les îles Sandwich que nous avons visitées, Owhyhi, quoique la plus grande, n'est cependant pas la plus fertile: la présence de ses volcans, les éruptions considérables qui y ont eu lieu depuis peu d'années, donnent au soi, sur la cote occidentale principalement, l'aspect le plus désolé et le plus stérile. C'est seulement à une hauteur de 5 oo à 600 mètres, et sur-tout dans quelques vallées de cette région où la lave a pu se décomposer, que l'on retrouve toute la puissance de la végétation intertropicale. "Quoique les concrétions volcaniques soient encore là très-pressées, dit M. Quoy, la nature n'y est plus avare de ses dons, et ces lieux paroissent même rians quand. on les considère à quelque distance; mais, en les parcourant, on est bientôt fatigué de marcher en équilibre sur des monceaux de laves brisées. Chaque carré de culture, planté de rima . de cannes à sucre, de mûriers à papier, et de divers légumes d'origine européenne, est environné en effet d'un mur sur lequel on passe comme sur une chaussée; souvent même le cultivateur n'a fait qu'écarter les débris pierreux, jusqu'à ce que, trouvant un peu de terre végétale, il ait pu y confier la semence, qu'une chaleur et une humidité perpétuelles développent promptement. "Le sommet de la montagne la plus voisine de Kayakakoua est couronné de grands arbres; mais jusqu'à l'endroit où sont les cultures et plusieurs cases éparses, on ne rencontre qu'une sorte de graminée, des euphorbes arborescens, des câpriers, et quelques arbres rabougris dont les racines vont chercher le terreau à travers les fissures des laves." Dans la bande orientale de l'île, les environs de la baie Waïtia (pl. 15) paroissent assez fertiles; et l'on assure que les parties d'Owhyhi |
situées au Sud-Est et au Nord - Ouest de Mowna - Kaah sont les plus susceptibles d'un bon rapport et les mieux cultivées: les flancs de cette montagne sont bien boisés, et c'est là que se trouvent en plus grande quantité les bois de construction dont on fait usage dans le pays. Les îles sous le vent d'Owhyhi n'ayant point de volcans en activité, offrent pour la plupart un sol cultivable sur presque toute leur surface. Près des rivages, on rencontre de vastes champs de bananiers, de mûriers à papier, et de cannes à sucre dont les tiges atteignent parfois à une' hauteur de dix pieds sur un diamètre de trois pouces. A Mowi, et sur-tout à Wahou, M. Gaudichaud a fait la remarque que " les cultures sont établies dans les gorges et le long des torrens: de nombreuses habitations, adossées aux forets vierges de ces îles, sont ombragées par des milliers de cocotiers, de jambosiers, d'arbres à pain, de bananiers, &c., et dans leur voisinage se trouvent tous les végétaux utiles de ces climats, qu'on cultive aussi sur le bord de la mer. L'arrosement se fait par des milliers de petits ruisseaux qui, descendant de la montagne, disparoissent bientôt après dans ses flancs. Là, tout respire un air de fraîcheur et de vie qu'on chercheroit vainement ailleurs." Ii est probable que les îles Atouaï et Onihow ne sont ni moins fertiles ni moins agréables; mais nous ne les avons vues qu'à une fort grande distance, qui ne nous permettoit pas d'en acquérir la certitude. La racine du chou-caraïbe [taro], fait, avec le fruit de l'arbre à pain, ia patate douce, l'igname, et plusieurs variétés de bananes, la base de la nourriture végétale des insulaires; les Européens y ont ajouté plusieurs plantes comestibles (1). La liste suivante en contient la nomenclature détaillée, ainsi que celle de plusieurs autres plantes utiles à divers titres. Plantes alimentaires. — Ail, plante exotique. Arbre à pain (artocarpus incisa): on assure que cet arbre ne se trouve pas dans toutes les îles de l'archipel sandwichien; les habitans le nomment ourou. [Ava] (piper methysticum); on tire de la racine de cette plante une liqueur spiritueuse nommée otao. Banane [maïa]: on en distingue plusieurs variétés. Canne (1) Dans cette liste, les noms botaniques latins sont entre parenthèses, et les noms donnés par les naturels entre crochets. |
à sucre, de plusieurs sortes [noui]: les naturels n'en faisoient primitivement usage que comme d'un fruit. Céleri. Chicorée. Chou: ce légume, venu d'Europe, s'est tellement multiplié, qu'on en rencontre presque partout ici de sauvages. Chou caraïbe [taro] (caladium esculentum): il y en a de nombreuses variétés; ses feuilles, accommodées en épinards, donnent un mets fort agréable; ce végétal est appelé suni aux Mariannes. Ciboule. Citron, introduit en premier lieu par Vancouver. Citrouille. Coco [niou], est appelé du même nom aux Mariannes (1). Concombre [kaoukama]. Fraises: on prétend qu'on ne trouve cet excellent fruit en abondance que sur les montagnes d'Owhyhi; la plante fleurit en janvier. Féve. Gingembre [aouapoui] (amomum zingiber). Groseilles. Igname [ouhi] (dioscorea alata); se trouve principalement, dit-on, aux îles Atouaï et Onihow; c'est la racine nominée dago aux Mariannes. Jambosier [ohia] (eugenia malaccensis); donne de très-gros fruits roses qui ont peu de saveur. Laitue, apportée d'Europe. Latanier, ou palmiste. Légumes potagers d'Europe: principalement cultivés pour l'usage des navires en relâche dans ces îles, ou pour la table des étrangers qui y ont fixé leur demeure (2). Maïs [koulina]; cette importante graminée exotique, due, assure-t-on, au capitaine Vancouver, est encore peu multipliée. Melon [poa], fruit exquis et passablement répandu. Navet. Ognon, exotique. Oranger [alani], arbuste dû à Vancouver. Pastèque [ibou-aoré], fruit excellent, introduit aussi, dit-on, par le même voyageur, et se trouvant par-tout aujourd'hui en très-grande abondance. Patate douce [ouala] (convolvulus batatas): on en a vu du poids de quatorze livres. Pêcher. Persil. Piment [nio-i]. Poire. Pomme. Pomme d'amour, ou tomate [oéia], plante exotique. Pomme de terre, tubercule exotique, nommé [ouala], comme la patate. Potiron. Pourpier. Radis, plante exotique. [Ti] (dracæna terminalis), racine douce, comestible, venant sans culture dans les terrains élevés; sert comme i'ava à faire une liqueur enivrante. Vigne: selon M. Quoy, les plants en ont été (1) Voyez la note du t. I, p. 575. |
apportés de Californie par M. le capitaine Meek (1); le raisin [makaou] qu'elle produit est rouge, d'une grosseur prodigieuse, excellent à manger, et susceptible de fournir de bon vin. M. Marin a donné beaucoup de soins à la culture de cette plante, qui est maintenant passablement multipliée à Wahou. Végétaux propres aux arts et au commerce. — [Aohou], nom indigène d'une plante dont la racine est employée, par les pêcheurs, pour enivrer le poisson; mêlée avec l'urine, elle sert aussi à tuer les poux. Arbre à pain: son bois convient parfaitement à l'architecture navale. Calebasses, de différentes formes, et d'une grosseur parfois surprenante, servent aux habitais à faire des vases pour divers usages. Câprier, arbre nommé ici piro. Curcuma [oréna] (curcuma longa), plante employée pour les teintures en jaune. Euphorbe arborescent [haou] (hibiscus tiliaceus): c'est le bahou de Timor, le balibago de Manille et le pago des Mariannes. [Ié], plante dont les racines fibreuses servent à faire des ligatures et des ouvrages de vannerie, comme casques, paniers, &c. [Koa] (mimosa heterophylla). [Koko-1oa] (neraudia melastomerfolia et ovata): fournit de la filasse. [Koukoui] (aleurites tribola), arbre abondant dans les montagnes et portant des fruits très-huileux, en forme de coeur et de la grosseur d'une' noix ordinaire: enfilés à un petit bâton et allumés ensuite, ils brûlent comme un flambeau. [Lima] (sida rotundifolia), malvacée à fleur agréable. [Mamaki] (boehmeria), arbre à écorce tenace. Mûrier à papier [oua-outi] (broussonetia papyrifera): il y en a plusieurs variétés, l'une desquelles est particulièrement l'objet d'une culture assidue et soignée. [Nouni] (morinda citrifolia): l'écorce de la racine de cet arbre, nommé ladda à Timor, y est employée dans la teinture en rouge. [0éa] (metrosideros polymorpha). [Olona] (procris), arbre à filasse. [Piri], paille fine dont on couvre les cases. Plantes vénéneuses: on en trouve beaucoup sur l'île Wahou, et les habitans s'en servoient jadis quelquefois, dit-on, pour empoisonner leurs armes. Poivre enivrant (voyez Ava, dans les plantes alimentaires). Ricin, ou palma-christi [aïla] (ricinus inermis). Sandal [moa-loa] (santalum ellipticum): il paroît qu'il y a ici plusieurs (1) Voyez ci-dessus, pag. 540. Le capitaine Vancouver en avoit introduit quelques pieds lui-même dès l'année 1792; mais, faute de soins, ils n'auront probablement pas prospéré. |
espèces de sandal; les noms indigènes de ié-ara et iloïahi, qu'on donne encore à ce bois, semblent l'indiquer; on le trouve abondamment sur les montagnes des Sandwich. [Toou], arbre avec le bois duquel on fait les vases destinés à servir les mets. Vacoua [oé]. [Viri-viri] (erythrina corallodendron): arbre de charpente nommé déran à Timor et gaugau aux Mariannes; ses branches, dit-on, prennent facilement de bouture. Plantes d'agrément. — [Avouki-vélo] (rudolphia), plante à grappes d'un rouge ponceau très-vif. Basilic [ouai-noui]. Cérite [touao], fruit dont on fait des bracelets. Jasmin indigène, très-odorant. OEillet, plante exotique cultivée à Wahou par M. Marin. [Lagouara] (pandanus), sorte de vacoua à fruit jaune citrin odorant, servant à faire des colliers. [Mairi], plante d'un parfum suave, dont on tresse des guirlandes. Roses, fleurs exotiques, dues aux soins de M. Marin. [To] (cordia sebestena), arbre à fleurs agréables. Lorsque l'illustre Cook découvrit les îles Sandwich, les cochons et les chiens étoient les seuls quadrupèdes auxquels on y donnât des soins. Des navigateurs européens ne tardèrent pas à y porter des chèvres; mais c'est au capitaine Vancouver que les habitans doivent le bienfait de l'introduction du boeuf et du mouton. Tous ces animaux y ont parfaitement réussi; et déjà, à l'époque de notre relâche, et indépendamment des troupeaux domestiques élevés sur plusieurs points, il y avoit encore des centaines de bêtes à corne sauvages sur l'île Owhyhi. Le cheval et l'âne, arrivés plus tard, y sont eux-mêmes bien naturalisés aujourd'hui. De l'aveu des habitans, il n'existe qu'un nombre très-borné d'espèces d'oiseaux, qui se tiennent plutôt dans les montagnes que sur les côtes. On ne compte d'autres reptiles que quelques petits lézards gris, dont les naturels paroissent avoir une grande peur. Les insectes sont rares et peu brillans. "C'est une chose remarquable, dit M. Quoy, que, dans les îles volcaniques de l'Ile-de-France, de Bourbon, des Mariannes et des Sandwich, il n'y ait pas de serpens: cela tiendroit-il au sol? Cependant, aux Antilles, qui sont aussi volcaniques, on en voit, comme la Martinique, |
qui ont beaucoup de ces reptiles, et de très-dangereux, tandis que d'autres ont le bonheur d'en être exemptes." Ainsi que nous l'avons fait pour les végétaux, nous transcrirons la note succincte des animaux les plus remarquables qui se trouvent dans l'archipel sandwichien. Mammifères. — Anes, encore peu nombreux: nous n'en avons vu qu'à Owhyhi. Boeuf: l'espèce en est très-belle, mais il eût été bien difficile, en 1819, de s'en procurer pour la consommation de l'équipage d'un navire. Cheval [lio]. Chèvre [kahé]: on dit qu'il y en a quelques-unes de sauvages à Owhyhi; cet animal multiplie beaucoup. Chien [ilio]: les habitans sont très-friands de sa chair. Cochon [bouha]: d'un goût exquis, sans doute à cause de la nourriture particulière qu'on lui donne, et dans laquelle les racines farineuses et la canne à sucre se trouvent. pour beaucoup; cet animal se voit en quantité innombrable dans toutes les îles habitées; plusieurs sont remarquables par des raies longitudinales sur le dos et sur les côtés du ventre; on assure qu'il y en a de sauvages et de très-féroces dans les montagnes. Mouton: encore peu multiplié; nous en avons aperçu cependant un fort joli troupeau sur l'île Wahou. Souris [iolé]. Oiseaux. — Albatrosse brun [ha-a]. Bécasseau. Canard [toroa]: se trouve à l'état sauvage près des lacs et des marais. Chevalier. Chouette commune [pouéou]. Coliou. Corlieu. Échassier [koréa-ouriri]. Foulque. Gobe-mouche. Grimpereau jaunâtre. Moucherolle [éré péio], oiseau tacheté de blanc et de noir, mais brun sur le dos. Oie sauvage: se voit dans les montagnes. Passereau à tâte jaunâtre [o-ou]. Perroquet, d'un pourpre luisant: se tient dans les bois. Pluviers dorés. Poule domestique [moa]: existoit dans ces îles avant leur découverte par le capitaine Cook; elles y sont toutefois en petit nombre. Poule d'eau [araî]. Poissons. — Balistes [aonouhi]. Chétodon: il y en a de plusieurs espèces. Gomphoses. Labres: de plusieurs espèces. Mufle muitibande [mouano]. Pomacentre. Rason. Requin [mano]. Sorus. Mollusques, crustacés, insectes, &c. — Holothuries. Huître perlière: Kankerfa. Langouste [ouré]. Lézard gris, de petite taille. Mouches communes. Scolopendre. Squille mante. Tortue [onou]. |
&Sect;. V.
De l'Homme considéré comme individu.
Tous les navigateurs qui nous ont précédés dans ces parages, ont fait avec nous la remarque que la classe des chefs paroît former, chez les deux sexes, aux ïles Sandwich, une race distincte, bien supérieure, par sa taille, sa force et son intelligence, au reste de la population. Sous le rapport des traits de la figure, les uns et les autres cependant se ressemblent (1). Parmi les premiers, plusieurs individus ont au-delà de six pieds de hauteur, et l'obésité du plus grand nombre est fort remarquable, sur-tout chez les femmes, qui parviennent, assez jeunes encore, à un embonpoint vraiment monstrueux (2). "Malgré cette exubérance incommode, amenée par le régime diététique auquel les habitans se soumettent, on peut dire, avec M. Gaimard, qu'en général les hommes sont bien faits. Leur physionomie, assez agréable, offre les caractères suivans: Visage ovale, front plus ou moins découvert, nez un peu épaté, yeux petits et noirs, bouche grande, lèvres saillantes, belles dents, cheveux noirs longs et légèrement frisés chez les uns, coupés ras chez les autres, ou en forme de casque. Quelques figures ont une expression tout-à-fait européenne (voyez pl. 82 et 84). "Pour la plupart moins bien que les hommes, les femmes ont cependant un air plus doux, des contours plus gracieux; elles ont le front découvert, le nez épaté, la bouche grande, les lèvres saillantes chez un grand nombre, les dents belles, le sein généralement ferme et proéminent, les cheveux noirs et disposés de différentes manières, comme ceux des hommes (pl. 83 et 88). Les femmes de Wahou nous ont, en général, paru plus jolies que celles de Mowi et d'Owhyhi." La peau est d'une couleur brun clair; quelques-uns l'ont assez fine. Sans étre privés de barbe, les hommes en ont souvent fort peu. Les (1) La même chose existoit jadis aux Mariannes. (Voyez plus haut, p. 277.) |
femmes aiment à s'épiler, et emploient, pour y parvenir, une petite pince en os, ou le suc de certaine plante. Nous avons vu à Kayakakoua deux ou trois individus qui étoient chauves, circonstance assez rare chez les gens de couleur. M. Gaimard ayant mesuré les parties du corps de quelques personnes, les nombres qui en expriment les dimensions ont été rassemblés dans les tableaux suivans. Hévahéva, l'une d'elles, principal prêtre du dieu de la guerre Taïri, de Taméhaméha, avoit environ quarante-cinq ans; Tao-a, Jeune Owhyhien, pouvoit en avoir trente; Taoui, trente-deux, et Kouakini, chef du premier ordre, vingt-neuf. Parmi les femmes, on remarquera Kamahamarou, reine favorite de Riorio; Koukaï et Moumoukou, jeunes femmes de Mowi; enfin, Tabouraï, jeune fille de la même île: la reine et cette dernière paroissoient âgées de dix-sept ans. Il n'est pas sûr que ces femmes de l'île Mowi fussent de la race des chefs |
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M. Guérin a cru remarquer qu'il y avoit ici moins de vieillards que de vieilles femmes: il trouve l'explication de cette différence dans les habitudes prolongées de libertinage des premiers. Taméhaméha est mort à l'âge de soixante-dix ans; mais en général un homme de soixante offre déjà toutes les marques de la dernière décrépitude. Selon le même officier, les filles sont nubiles à onze ans, quoiqu'il ne soit pas rare d'en voir qui le deviennent dès l'âge de neuf ou dix. Gale. — "Nous avons été frappés, en abordant sur ces îles, de voir que les habitans avoient le corps plus ou moins couvert de gros boutons de gale, dont quelques-uns suppuroient au sommet: c'est sur-tout aux environs des articulations, et notamment aux mains, que ces boutons étoient le plus pressés: femmes, enfans, depuis le plus pauvre jusqu'au souverain, nui n'en paroissoit exempt, et même des pustules de pareilles nature souilloient la peau de plusieurs Européens qui vivoient depuis long-temps parmi eux. Je nomme gale cette maladie, parce qu'elle fui ressemble beaucoup; cependant je ne la crois pas contagieuse, et elle ne semble se gagner que par une cohabitation prolongée avec une personne infectée. Sans cela, cette dégoûtante incommodité n'auroit pu manquer de se propager à bord; il eût suffi des fréquentes poignées de main que l'usage obligeoit de donner à ces hommes: par bonheur, aucun accident n'en est résulté. Syphilis. — "On sait qu'ils ont le malheur de connoître la syphilis: l'avoient-ils avant l'arrivée de Cook, ou des Espagnols ses devanciers? c'est une question qui n'est point encore éclaircie. La défense maintenue, autant qu'il fut possible, de laisser venir des femmes à bord de l'Uranie, empêcha cette maladie de faire des progrès parmi notre équipage, et nous n'avions au départ qu'un petit nombre de personnes infectées." (M. Quoy.) "On assure que la syphilis est beaucoup plus commune à Wahou qu'à Owhyhi, dit M. Gaimard; toujours est-il vrai que, dans la première de ces îles, je n'en ai vu aucun exemple très-décidé. Une ophthalmie que j'ai observée, des tumeurs et des fistules lacrymales et salivaires, pourroient bien cependant avoir ce caractère: quelques dartres et une |
ulcération ichoreuse de la conjonctive appartiendroient-elles aussi à cette catégorie? Je tiens d'un Européen fixé à Mowi, que, dans cette île, la maladie vénérienne se manifestoit fréquemment par des bubons aux aines et aux aisselles, et par des chancres; ce qui est d'ailleurs conforme à ce qu'observa le médecin Roblet, pendant le voyage de Marchand, en 1791." Affections catarrhales. — "Les affections de ce genre ont paru très-fréquentes à M. Quoy. Elles portent, dit-il, leur action sur la muqueuse pulmonaire, occasionnent de nombreuses toux, qui, dégénérant en phthisie, font succomber les malades. J'aperçus une fois, sous un hangar, une jeune fille étendue sur des nattes, et près de mourir de cette affreuse maladie. On doit avec vérité en attribuer la cause, 1.° aux changemens de l'atmosphère, qui de chaude devient souvent brusquement très-fraîche, par suite de l'action des fortes brises; 2.° au défaut de vétemens assez chauds, qui puissent soustraire le corps n'influence de ces variations; 3.° aussi à l'habitude qu'ont les naturels de coucher plusieurs nuits de suite en plein air, &c. Ii nous est arrivé de voir des hommes grands, forts, vigoureux, ayant de ces toux opiniâtres qui devoient finir par leur être fatales. Lépre. — "On rencontre encore ici la terrible lèpre, moins commune et moins variée peut-être qu'aux îles Mariannes, mais non moins funeste à ceux qui en sont attaqués. Un individu atteint d'éléphantiasis avoit la jambe couverte d'ulcères rongeans; et une femme dont les os du nez n'existoient déjà plus, faisoit entendre cette espèce de sifflement, symptôme propre à cette période avancée de la maladie. "Une espèce de dartre lépreuse couvroit diverses parties du corps de quelques personnes. Je ne sais pas si cette infirmité tient véritablement de la lèpre, ou si elle appartient aux dartres simples; peut-être est-elle occasionnée par l'abus de la liqueur nommée ava: Cook et Vancouver disent qu'à la longue cette boisson enivrante occasionne une sorte de lèpre blanche. Ulcéres. — "Nous avons vu aussi quelques ulcères putrides entretenus par la malpropreté." Dysenterie. — M. Gaimard vit à Owhyhi un dysentérique dans un |
état de marasme complet. Un remède émété-cathartique est administré par les naturels dans cette maladie, qui épargne rarement ceux qui en sont attaqués. Dernièrement, selon M. Rives, elle avait emporté beaucoup de monde. Petite-vérole. — "La maladie cutanée qui porte ce nom n'a pas encore, dit-on, répandu ses ravages aux îles Sandwich: à Wahou, lorsqu'on croit qu'un enfant en est atteint, on l'étouffe. Folie, rage. — "Il n'y a point ici de chiens enragés; mais on connoît quelques fous: on fie les maniaques, et parfois on les laisse mourir de faim. Atrophie des membres. — "Un enfant de huit ans se montra à nous, aux environs de Kayakakoua, avec le bras gauche amaigri et le droit atrophié; chaque main n'étoit pourvue que de quatre doigts et de quatre os du métacarpe. Les doigts de la main gauche étoient recourbés et un peu déformés; ceux de la droite, au contraire, paroissoient dans leur état normal, et n'offroient, ainsi que la main, pas la moindre apparence de difformité. Rachitis. — "Nous rencontrâmes à Kohaïhaï un petit homme nommé Araou, de 4 pieds 2 pouces [1m,35] de haut, fluet, très-foiblement constitué, bossu par devant et par derrière; son pouls ne donnoit pas moins de 93 pulsations par minute. Accouchemens. — "Il meurt quelquefois des femmes en couche, et cela arrive infailliblement lorsque l'enfantement naturel est impossible. On lave à l'eau de mer les nouveaux nés, et on _les étend ensuite sur des nattes. Les femmes vaquent à leurs occupations aussit8t après qu'elles sont accouchées. Il y a des personnes de ce sexe qui font profession de donner leurs soins à celles qui sont en travail. Blessures. — "Les chefs, ainsi que leurs femmes, sont les personnes qui connoissent le mieux l'art de guérir les blessures." (M. Gaimard.) §. VI. De l'Homme vivant en famille. Préparation des alimens. — Selon M. Guérin, les Sandwichiens |
mangent à toutes les heures de la journée; ce sont, tantôt des cannes. à sucre, tantôt des bananes, des pastèques ou des melons. Cependant des repas plus substantiels ont lieu à trois époques principales de la journée: à l'heure où l'on se lève, au milieu du jour, et à l'instant où le soleil disparoit sous l'horizon. On sert alors une bouillie aigrelette [poé], faite avec la racine du taro [chou caraïbe]; quelquefois un cochon ou un chien cuit au four, du poisson frais, cru ou grillé, ou bien de la chair de porc et de poisson salé, que les naturels aiment beaucoup. Les fours dont on fait usage ressemblent parfaitement à ceux des Mariannes, que nous avons décrits dans un de nos préce'dens chapitres. Pour préparer le poé, on commence par faire cuire dans ces fours souterrains le taro, qui a préalablement été gratté avec une coquille et enveloppé de fedilles de bananier ou de fi; on l'écrase .ensuite sous une sorte,de pilon en pierre; puis on délaie la pâte dans l'eau, de manière à en former une bouillie liquide. Cette pâte, lorsqu'elle â fermenté pendant douze ou dix-huit heures, acquiert une saveur acidule qui, quatre ou cinq jours après, est plus forte encore et flatte davantage le goût des habitans. Si le taro cuit au four, comme on vient de le dire, est pétri sans eau, il donne une sorte de pain qui., enveloppé de feuilles et séché au soleil, peut se conserver pendant plusieurs mois: c'est la provision essentielle des marins. Quelquefois, au lieu de poé, les Sandwichiens mangent des patates douces et des racines de ti, cuites par le même procédé: nous ne nous sommes pas aperçus que le rima ou les ignames fussent chez eux des substances 'aussi recherchées. Les mets sont servis sur des nattes étendues par terre, et autour desquelles chacun des convives s'accroupit ou s'étend. Le . poé est contenu dans d'énormes calebasses (pl. 90, fig. 15); le reste dans des plats en bois de diverses grandeurs (même pl., fig. 14): chez les chefs du premier ordre, cependant, on commence à employer des' plats en porcelaine de Chine, des verreries, &c. L'usage des fourchettes et des cuillers est encore inconnu; chacun trempe son doigt index dans la bouillie, et la porte ainsi à la bouche. Des ablutions précèdent et suivent chaque.repas. Le seul assaisonnement du poisson cru est la saumure ou simplement l'eau de mer: celui qu'on veut faire cuire est placé à cet effet sur des pierres |
fortement chauffées, à défaut d'ustensiles qui puissent aller sur le feu. Pour dépecer les viandes, ils se servent d'éclats de bambou tranchans, ou bien de leurs dents et de leurs mains, quand ce ne sont pas celles de leurs domestiques qui sont chargées de l'opération. Boissons. — "L'eau est la boisson ordinaire des hommes et des femmes; cependant ifs savent tirer de la racine d'ava une liqueur enivrante. Les Européens leur ont appris l'art perfide de fabriquer une sorte d'alcool avec la canne à sucre, la patate douce et la racine de ti, liqueur qu'ils préferent et dont ils abusent étrangement; elle a beaucoup de rapport avec l'eau-de-vie de coco: de petites calebasses (pl. 90, fig. 10) servent à la contenir." (M. Guérin.) La plupart des Sandwichiens que nous avons vus portoient une espèce de manteau noué sur l'épaule, et fait en pagne [tapa] fabriquée avec l'écorce du mûrier à papier; mais tous, sans exception, avoient un fangouti [maro], d'une étoffe du même genre plus épaisse. Le costume ordinaire des femmes .consiste en une pagne très-fine, pliée en plusieurs doubles [paou], dont elles s'entourent le corps, soit au-dessus, soit au-dessous du sein (pl. 83, 88 et 89), et qu'elfes rejettent quelquefois par-dessus les épaules. Presque jamais on ne voit les enfans, même en bas âge, aller sans vêtement; attention qui semble indiquer une sorte de pudeur: cependant, lorsqu'on va au bain, chacun, y.entre nu, hommes, filles et femmes, sans le moindre signe d'hésitation ni de honte. Comme à la Chine, la couleur jaune est ici plus particulièrement affectée aux chefs. La même distinction a lieu pour les manteaux et les pélerines en plumes, objets fort chers, qui, travaillés avec un art très- remarquable, ont l'air, à quelque distance, d'être faits avec un magnifique velours (pl. 85): néanmoins le rouge y domine; mais toujours ils sont, ou bordés de jaune, ou nuancés de dessins dans lesquels cette couleur se marie avec le noir. Les reines ont des paous façonnés de la même manière, dont elles ne se parent que dans les plus grandes occasions. Nous avons remarqué à Onorourou des hommes de l'intérieur vêtus de manteaux faits avec id feuille du ti, dont le tissu imitoit assez bien nos ouvrages de sparterie; cette étoffe grossière, peluchée en brins de la plante, nous parut très-propre à garantir de la pluie. |
Quelques chefs s'habillent à l'européenne, en tout ou en partie (pl. 82, 84 et 89): il en est de même, à Wahou, des femmes qui vivent avec les blancs. Les étoffes de l'Inde et de la Chine, celles aussi qui proviennent de nos fabriques, tant en coton qu'en faine et même en soie, commencent également à se répandre. Les habitans vont habituellement nu-pieds; seulement, lorsqu'ils doivent marcher sur des coraux ou sur des pierres aiguës, ils se font de grossières sandales avec de la bourre de cocci. Nos souliers, essayés par un petit nombre de personnes, furent jugés, par elles peu commodes. Les insulaires des deux sexes aiment en général à rester tête nue; les hommes ont cependant des bonnets en ié (espèce d'osier), dont les formes diverses se rapprochoont beaucoup de celles des casques grecs (pl. 90, fig. 7 et 8); ceux des premiers chefs sont recouverts de plumes éclatantes (même pl., fig. 11). Depuis la fréquentation avec les Européens, on voit des chapeaux en paille (pl. 82), et quelques autres en feutre. L'arrangement de la chevelure est soumis aux caprices du goût: les uns la laissent pendre dans toute sa longueur, ou bien la relèvent au-dessus de leur tête; les autres la réunissent en une ou plusieurs queues, ou bien en tondent des parties de diverses façons, pour des motifs que nous ferons connoltre plus tard (voy. pag. 602): dans ce dernier cas, la mode la plus généralement suivie est de ne laisser au sommet, depuis le front jusqu'à la nuque, qu'une touffe de cheveux de la largeur de quatre doigts, ce qui figure assez exactement la crinière qui surmonte le casque de nos dragons. Ornemens. — Beaucoup de jeunes femmes se teignent en blanc, dans une largeur d'environ deux doigts (page 525), la portion de cheveux qui entoure leur face (pl. 88); elles se servent pour cela, dit-on, d'une sorte de craie ou d'argile unie à de la chaux de coquillage. Des couronnes en plumes jaunes, rouges et noires, entre-mêlées non sans intelligence, et des morceaux jaunâtres du fruit d'un vacoua odorant, ornent la tête des femmes de la haute classe; elles se font aussi des colliers (pl. 83) de cette dernière substance, et d'autres qui sont composés de cheveux tressés, dont les branches menues et multipliées supportent, pour l'ordinaire, quelque breloque en dent de cachalot grossièrement sculptée. Quant aux pendans d'oreilles et aux colliers en perles de verre, ce sont des parures modernes |
mises en vogue par les Européens, de même que les petits miroirs eu- cadrés dans du bois poli que les élégantes portent au cou ou pendus à leur mouchoir de poche (voyez page 524). Le règne végétal leur offre encore, suivant la saison, des plantes odorantes, et des fleurs à couleurs vives, du plus bel effet. "Ces parures naturelles, dit M. Gaudichaud, sont bien plus riches et bien plus éclatantes que tout ce que l'art peut enfanter d'éblouissant pour nos belles Européennes. Les hommes, moins passionnés pour ce genre de décoration, se montrent aussi moins versatiles dans leurs choix. Ceux qui me guidèrent dans les montagnes ne manquèrent jamais de m'offrir une couronne faite des rameaux encore tendres et très-déliés de l'alyxia olivaformis, après toutefois m'en avoir fait,remarquer le parfum suave. "A tous ces ornemens, je dois ajouter celui que les hommes retirent encore du bananier. Ils détachent la moitié longitudinale d'une feuille, lorsqu'elfe commence à être un peu jaunie par l'action du soleil, en ayant soin d'y laisser une légère partie de la côte principale, et fendent le limbe en rubans de trois à six lignes de largeur. Ainsi disposée, elle sert à former des couronnes, des ceintures, des jarretières et des colliers; souvent, après lui avoir fait faire,le tour du cou, ils la croisent sur la poitrine, la font passer sous le bras, ét en nouent les bouts derrière le dos, ce qui forme une parure remarquable par sa grâce et son originalité. "Ce qu'au premier abord j'avois pris pour un objet de pure coquetterie, avoit un double but d'utilité. En effet, ces bandelettes de feuillage, agitées par le mouvement de celui qui les porte, ou par le vent, remplissent à-la-fois l'office d'un émouchoir et d'un éventail." Chez les peuples qui vont à-peu-près nus, le tatouage est une parure durable qu'il est facile de se procurer. Les Sandwichiens ne négligent pas cet enjolivement; et quoique Ieurs dessins soient moins riches et souvent moins réguliers que ceux des Carolinois, ils ne Iaissent pas d'être exécutés parfois avec beaucoup d'art: aucune partie de leur corps n'en est exempte; le nez, les., oreilles, les paupières, le sommet de la tête, le bout de la langue même dans quelques circonstances (voy. page 6o i), en sont surchargés non moins que la poitrine, le dos, les jambes, les bras et la paume des mains. Il y en a qui, pour paroître sans doute plus |
terribles, se font noircir toute une moitié du corps, ce qui produit un effet non moins hideux que bizarre. Les dessins représentent pour l'or dinaire des cercles, des damiers, des oiseaux, et plus rarement des lézards: depuis . qu'ils connoissent les chèvres, on voit la figure de ces quadrupèdes se reproduire sur leur peau depuis les pieds jusqu'à la tête (pl. 86 et 88). A notre arrivée, beaucoup d'entre eux venoient de se faire imprimer en anglais, sur le bras, l'époque du décès de Taméhaméha, et de celui d'un jeune chef, nommé Pohé, favori du roi, qui avoit précédé de trois jours son maître dans la tombe (voy. pl. 82). Le tatouage s'exécute avec un os d'oiseau, terminé par trois . pointes aiguës, et fixé à un manche .de quatre à cinq pouces de long, sur lequel on frappe de petits coups avec une tringle de bois mince et longue . de deux pieds. On insère dans les piqûres un noir liquide qui se tire de la noix de koukoui brûlée, et mêlée avec du suc de la canne à sucre, ce - qui en rend l'empreinte indélébile. A Mowi, nous vîmes tatouer une femme; l'opération ne paroissoit pas du tout douloureuse. "Toutes les habitations des Sandwichiens sont en bois, garnies en paille de piri, en tiges de canne à sucre, en feuillés de vacoua, de goëmon, &c. Elles consistent en un seul étage. Les portes ont depuis un pied et demi jusqu'à cinq pieds de hauteur: quelques-unes tournent sur des gonds en fer, depuis l'arrivée des Européens; mais un plus grand nombre ne se fixent, haut et bas, qu'avec des morceaux de bois qui s'emboîtent dans des trous pratiqués sur le cadre. La plupart de ces portes n'ont leurs châssis garnis d'aucune espèce de fermeture; cependant aujourd'hui les chefs mettent aux leurs des cadenas. Les plus grandes maisons n'ont en général que deux portes, une à chaque extrémité, et une petite fenêtre sur le côté; les. moyennes, une porte et une fenêtre; et les petites, une porte seulement: parmi les premières, il en est qui ont cinquante et même soixante pieds de longueur, et jusqu'à quinze de hauteur. Presque toutes ont pour base un rectangle. Les plus petites, qui ne sont que de misérables huttes, ont depuis deux et demi. jusqu'à quatre pieds de haut, et l'on y pénètre par une ouverture d'un et demi à trois pieds. Dans l'habitation. qu'occupoit, à Kohaihal, la reine Kamahamarou, les parois latérales, d'abord de six pieds d'éléva- |
tion verticale, alloient ensuite en obliquant jusqu'au faite, où elles se réunissoient sous un angle aigu. La construction de toutes ses parties étoit très-soignée: huit poteaux ou pièces de bois debout, disposés selon le grand côté de la case, soutenoient une poutre assez longue, qui alloit d'un bout à l'autre, et recevoit dans des échancrures les pièces verticales qui la supportoient; huit chevrons s'élevoient de ce point, et le tout étoit lié par de petites tresses [cinet] en kair ou de quelque autre filasse; enfin, après avoir revêtu en paille le corps du bâtiment et la toiture, on avoit garni les parois intérieures avec un grand nombre de longs roseaux ou d'éclisses en bois, liés artistement entre eux avec des rubans de vacoua. "Dans les sites sablonneux, et pour éviter l'humidité du soi, on élève la maison. sur une plate-forme en petit cailloutage, qui n'a pas moins d'un ou deux pieds d'épaisseur, ou même sur une terrasse en pierres sèches de cinq à six pieds de hauteur." (M. Gaimard.) Le logement de chaque famille un peu aisée exige au moins trois cases contiguës: une est la salle à manger des hommes, une autre celle des femmes, la troisième sert de chambre à coucher; elles sont quelquefois renfermées toutes trois dans une enceinte de haies ou de palissades. Les appartemens où se tiennent les chefs et les personnes aisées sont garnis de nattes posées par terre sur une couche d'herbes sèches. En 1819 , les constructions en brique ou en pierre n'étoient encore que de misérables imitations de nos demeures européennes: nous ne nous arrêterons pas à les décrire. C'est dans les cases qui servent de chambre à coucher, que se tient le plus habituellement la famille: aussi, chez les personnes riches,.voit-on toujours là de grands paquets d'étoffes de mûrier à papier, qui font à-lafois l'office de draps et de couvertures, et un assortiment de petits oreillers, maintenant en crin, jadis en bois. A une extrémité de la pièce, sur des traverses horizontales, supportées par des piquets assez hauts, est rangée la vaisselle, qui consiste en calebasses de diverses formes et dimensions, destinées à contenir l'eau et la poé, et en plusieurs plats en bois. Après le. repas, on pose un de ces plats sur l'ouverture de la calebasse qui contient la poé, et le tout est surmonté d'un couvercle, qui n'est aussi qu'un morceau de calebasse (voy. fig. 13, 14, 15 et .16, planche 90); |
le tout est enveloppé et assujetti dans un filet à larges mailles, qui sert à le suspendre (voy. pl. 86). Les couchettes, les matelas, les tables et les chaises commencent à devenir usuels. Taméhaméha avoit une magnifique table à manger et une commode en acajou, un palanquin ou plus exactement une chaise à porteur chinoise, et quelques autres meubles assez proprement faits, qui, à sa mort, ont été mis en .réserve dans la case sacrée de son morai, où je les ai vus. Les Sandwichiens de la classe élevée ont coutume de se faire accompagner d'un enfant qui porte un émouchoir [kahiris] en plume, emmanché d'une verge en bois ou en os humain, qui presque toujours est ornée de sculptures ou d'incrustations: ce manche, gros à-peu-près comme le doigt, a trois pieds et souvent beaucoup plus de longueur. L'éventail représenté pl. 90, fig. 9, sert à-la-fois à agiter l'air et à se préserver du soleil. Quelques parasols européens commençoient à se montrer: on sen- toit aussi combien les rasoirs et les ciseaux étoient des objets préférables aux éclats tranchans de coquilles et aux pinces épilatoires en os de poisson qui en avoient tenu lieu jusqu'alors. Propreté. — Si le bas peuple est ici d'une saleté dégoûtante, observe M. Guérin, il n'en est pas de même des habitans de la haute classe; à moins d'empêchemens insurmontables, ceux-ci se baignent dans la mer plusieurs fois par jour, et ne manquent pas d'aller ensuite, soit à un puits, soit à une eau courante, puiser dans une calebasse de l'eau douce, qu'ils se versent sur le corps, et principalement sur la tete: il est présumable que cette ablution a pour but de déterger la substance saline qui s'attache à leur peau, et à laquelle sans doute ils supposent une propriété nuisible. Tabac. — "L'usage du tabac, introduit je crois par les Anglo-Américains, est déjà devenu général aux îles Sandwich, où les naturels n'en sont pas moins amateurs que des liqueurs fortes; ils se bornent à le fumer, mais pas sans interruption comme dans les colonies espagnoles. Une seule pipe sert à plusieurs personnes, aux chefs comme à leurs valets; on se la passe à la ronde, et chacun se contente d'y prendre à la hâte quelques bouffées: sa forme est celle d'un crochet creux, aussi gros à une extrémité qu'à l'autre, sans tuyau mince pour mettre dans la bouche (voyez pl. 89). Ils fument aussi des cigares." (M. Quoy.). |
"Malheureusement, remarque M. Gaimard, ces insulaires ont pris la mauvaise habitude d'avaler en partie la fumée du tabac; et comme elle arrive brûlante dans leur estomac, ce doit être pour eux un principe actif de maladie." Maniére d'allumer le feu.— "Pour allumer le feu, dit M. Guérin, on se sett de deux morceaux de bois: l'un [aou-rak], dur et assez gros, est sillonné dans sa longueur de cannelures d'un demi-pouce de large, mais peu profondes; l'autre [aou-rima], de bois tendre, n'a guère que huit à dix pouces de long, et se termine en pointes obtuses taillées de manière à pouvoir s'emboîter exactement dans les cannelures du premier morceau. L'opérateur prend l'aou-rima à deux mains, en place une extrémité dans une des rainures de i'aou-rak, qu'un second individu tient dans une position fixe, et frotte ainsi longitudinalement avec force: une poussière ligneuse ne tarde pas à se produire et à prendre feu; on cesse alors de frotter, et on se hâte d'allumer une mèche faite avec de vieux morceaux de pagne. Le feu se conserve ainsi tant que dure la mèche, qu'on peut indéfiniment remplacer." Moyens d'éclairage. — Les noix huileuses du koukoui, enfilées à une petite baguette de bois, servent aux insulaires à s'éclairer dans leurs cases: ces espèces de torches jettent une assez vive lumière; mais il faut qu'une personne soit occupée sans cesse à en faire tomber la partie qui se carbonise; sans cela elles s'éteindroient ou éclaireroient mal. §. VII. De l'homme réuni en société. C'est une opinion généralement reçue, que, depuis quelques années, la population des Sandwich a singulièrement diminué: on en donne pour causes les guerres fréquentes qui ont eu lieu sous le règne de Taméhaméha, dans le but de ranger sous sa domination l'archipel entier; l'introduction des liqueurs alcooliques par les Européens, et les excès qui en ont été la suite; les catastrophes occasionnées par d'affreux tremble- mens de terre; des maladies jusque-là inconnues, apportées par des navires étrangers; les fatigues inaccoutumées résultant, pour la basse classe, |
de l'exploitation en foret et du transport au rivage du bois de sandal destiné au commerce; enfin, le libertinage et l'infanticide, conséquences funestes de la misère et de la dépravation. De l'aveu de ceux qui ont résidé le plus long-temps aux Sandwich, quantité de villages autrefois très-peuplés, abandonnés récemment, n'offrent plus aujourd'hui que des ruines. Le lieutenant Jacques King, continuateur de la relation de Cook après la mort de ce marin célèbre, établit, par des calculs approximatifs qui paroissent assez fondés, que la population totale des lies Sandwich étoit, en 1779, d'environ 40 0000 individus; elle nous a été indiquée à nous (1) comme étant de 264160, dans une note que nous croyons devoir rapporter à l'année i805; M. Stewart a publié, dans le journal de sa résidence aux Sandwich, de 1823 à 1825, que cette population ne dépassoit guère alors 14130o personnes, opinion conforme à celle que M. Ellis a émise dans la relation de son voyage dans cette contrée. Voici le tableau détaillé de cette triple énumération: Table 585Classification des habitans. — Indépendamment des membres de la famille régnante, et de quelques autres grands personnages qui se disent (1) Un charpentier anglais, George Youngson, fixé à Guam, après avoir demeuré plusieurs années aux îles Sandwich, m'a remis ce document, dont les élémens, combinés selon lui avec soin, ne paroissent guère offrir cependant qu'une approximation arbitraire. |
issus comme eux du sang des dieux, les chefs d'un ordre moins éminent se partagent en plusieurs catégories, en raison des fonctions qu'ils remplissent et de l'autorité dont ils sont investis. Les prêtres des idoles, quoique appartenant aussi aux castes supérieures, forment cependant une division à part. La classe du peuple, de beaucoup la plus nombreuse et la plus abjecte, comprend les personnes qui s'occupent péniblement de la culture des terres, des transports, et en général des travaux manuels les plus rudes. La population blanche, quoique peu considérable encore, et les métis qui proviennent de son croisement avec la race indigène, appartiennent à une subdivision nouvelle, gjji prendra sans doute à la longue un notable accroissement. Nous avons trouvé les Sandwichiens aussi tranquilles et aussi inoffensifs qu'ils avoient paru l'être à Vancouver, dans les derniers temps de son séjour dans ces îles, ainsi qu'aux autres navigateurs plus modernes qui ont visité avant nous ces contrées. Sûrement il existe encore parmi eux des êtres féroces, capables des plus grands excès; néanmoins on peut dire que, depuis le règne de Taméhaméha, ces peuples vivent en bonne harmonie, et mènent une vie qui n'est plus troublée par les guerres que se faisoient jadis des chefs ambitieux et encore non soumis sous un sceptre unique. Quoi qu'il en soit, on, gémit en pensant que des hommes en apparence si doux, ne sont que trop réellement convaincus de se souiller par des actes d'une barbarie révoltante, et qu'on auroit peine à croire, si l'on n'en retrouvoit pas des exemples chez les Chinois, nation renommée par sa sagesse et par l'antiquité de sa civilisation: je veux parler de l'infanticide. Pour les plus minces sujets de mécontentement, ie père et la mère ont ici le droit de faire périr les fruits de leur union, et ils consomment souvent ce crime- avec un sang-froid et une atrocité qui font frémir d'horreur. Sans parler des avortemens, dont les femmes bravent avec indifférence les périls, on en voit qui étranglent leurs nouveaux-nés, ou même qui les enterrent vivans, parfois à côté de leur couche, sans qu'aucune émotion décèle le moindre sentiment de pitié ou de remords. M. Ellis, qui nous transmet ces détails (op. cit.), croit que, par cette |
abominable pratique, plus de la moitié des enfans sont annuellement détruits. Il est des parens qui ne craignent pas d'outrager ainsi la nature, seulement en vue d'éviter une surcharge de bouches à nourrir: mais concevra-t-on que ce soit par paresse, par crainte de l'embarras et des soins que réclame fe jeune âge, soins qui paroissent si doux au coeur d'une mère européenne, concevra-t-on, dis-je, que ce soit le plus souvent pour un pareil motif que des femmes dénaturées se laissent entraîner à une action qui les ravale au-dessous de la brute. Ces horribles sacrifices, il est vrai, sont presque proscrits dans les familles aisées; mais celles- ci sont peu nombreuses, et leur exemple n'empêche pas l'influence destructive qu'ils exercent sur le développement de la population. "Rien n'annonce, dit M. Gaimard, que ces insulaires aient jamais été anthropophages. Leurs manières envers les étrangers sont assez bienveillantes; nous avons mime pu juger qu'ils entendent un peu trop largement les devoirs de l'hospitalité: toutefois, à la ville comme aux champs, chez les grands comme dans les cases les plus misérables, nulle part on ne nous a offert à nous désaltérer. Comment ne leur vient-il pas à l'idée que le voyageur qui parcourt ce climat brûlant, éprouve par-dessus tout fe besoin d'étancher sa soif? Lorsque nous trouvions les habitans occupés à manger leur poé, ils ne manquoient jamais de nous engager à faire comme eux; mais nous offrir à boire, jamais ils n'y ont pensé. En définitif, nous n'avons pas trouvé chez les Sandwichièns ces attentions affectueuses qui sont si touchantes chez d'autres peuples, et dont les insulaires de Timor et des Mariannes nous avoient si souvent donné des preuves. "Nous sommes loin, en effet, de regarder comme compensation un genre d'obséquiosité qui répugne trop à nos moeurs pour trouver ici des éloges. Dans toutes les maisons où nous entrions pendant nos courses, on s'empressoit de nous offrir les faveurs de quelque belle de la famille, comme ailleurs on invite à accepter du vin, du. café, du tabac; les paroles d'usage en pareil cas étoffent proférées à l'envi par les hommes et les femmes, par les jeunes filles, les petits garçons et les vieillards; on eût dit qu'ils craignoient de ne pas être compris. Si la victime lâissoit apercevoir, ce qui étoit rare, quelque velléité de résister au sacrifice, |
ce n'étoit qu'un cri pour la blâmer, pour l'engager à dépouiller toute honte. Qu'est-ce qui a pu suggérer à ces pauvres gens d'user à l'égard des Européens (1) de cette ignoble condescendance? rien autre chose qu'une cupidité puérile, l'espoir d'obtenir en retour la moindre bagatelle; mais cette bagatelle est à leurs yeux un trésor. Ce qui prouve que l'intérêt est leur seul mobile, c'est que dans les familles où règne l'aisance, on ne voit point afficher un tel mépris de la pudeur, bien qu'on ne puisse pas dire que les dames sandwichiennes soient des modèles de vertu. La jalousie, au reste, paroit ne pas exercer un grand empire sur l'esprit des maris et des amans, quoique l'on cite des événemens tragiques qui ont été le résultat de cette passion redoutable." Réunions de société. — Tout annonce que les Sandwichiens aiment beaucoup à se réunir pour causer ensemble; la posture que les femmes affectionnent alors consiste à se coucher sur le ventre. Étant un soir à Kayakakoua, et sur le point de nous embarquer pour venir à bord, nous rencontrâmes, réuni sur la grève, un cercle nombreux de personnes des deux sexes: la princesse Kéohoua, qui tenoit en plein air cette espèce de cour, étoit étendue dans la position que nous venons de dire, sans même qu'on eût eu l'attention de placer une natte sur le sol. Là, se roulent avec nonchalance sur elle- même, ainsi que plusieurs autres femmes de la société, elle se mêloit, quand bon lui sembloit, à leur conversation et à' celle des courtisans accroupis autour d'elle. Interdiction. — Les lois sévères du tabou défendent aux femmes de manger avec les hommes, excepté le cas où, étant dans une pirogue à la mer, il seroit impossible que l'on fit autrement. Celui qui auroit mangé avec les femmes, n'auroit plus, dit-on, la liberté de manger avec les hommes. Formules de politesse. — Le baiser se donne ici d'une manière très- expressive, et qui ne manque pas de grâce: on s'entoure mutuellement le corps avec les bras., et l'on fait toucher son nez contre celui de l'ami auquel on veut faire accueil (2), en sorte que les lèvres s'ap- (1) On assure que les étrangers seuls, en effet, sont l'objet de si singulières prévenances, et que les Sandwichiens entre eux, bien loin d'agir avec une telle liberté, regardent au contraire d'assez près I la conduite de leurs femmes. |
pliquent simplement l'une contre l'autre sans faire toutefois le moindre mouvement. Pour fêter le retour d'un ami ou de quelque supérieur, on témoigne sa joie par des pleurs simulés ou réels. Souvent nous fûmes témoins de ces simagrées, dont nous ne pouvions d'abord comprendre le motif. Kéihé-Koukouï, lorsqu'il arriva de Kohaïhaï à Kayakakoua, s'empressa d'aller chez le prince Kouakini; dès que ces deux chefs furent en présence, ils s'embrassèrent à la manière du pays, puis se mirent à sangloter en se roulant par terre ét poussant de grands cris, avec tous les signes extérieurs d'une douleur profonde. Après ce débordement de lamentations, qui est toujours de plus de durée chez les femmes que chez les hommes, on reprend sa gaieté et ses occupations ordinaires, comme s'il n'eût été question de rien. Aux pleurs succèdent quelquefois des chansons improvisées, ou composées d'avance, mais toujours faites à la louange de la personne à qui l'on veut rendre honneur. M. Ellis raconte qu'un jeune homme attaché au prince Kouakini, ayant été long-temps éloigné de son village natal, y revint après plusieurs années d'absence. Dès qu'on l'aperçut, la population entière accourut au-devant de lui; les pleurs et les embrassemens d'usage eurent lieu; on l'orna de couronnes de fleurs et de guirlandes odorantes; son père, ses frères, ses soeurs, tous ses proches enfin fui témoignèrent, par de touchantes caresses, la joie qu'ils avoient de le revoir; après quoi, une foule de jeunes gens entonnèrent un hymne à sa louange et à celle de sa famille, dont le poëte avoit en quelque sorte retracé l'histoire. Cette pièce, composée à la naissance du jeune homme dont il s'agit, est d'une facture trop curieuse pour que nous ne cédions pas au plaisir de rapporter le fragment très-court d'ailleurs qu'en a donné le voyageur que nous venons de citer (1). (1) Pour ramener à l'alphabet français et simplifier en même temps l'orthographe de ce morceau de poésie, nous substituerons lev au w, ce qui est permis (voy. la note de la page s tg), et le signe m à notre diphthongue ou; ainsi que nous l'avons fait ailleurs dans notre relation des Mariannes. On remarquera sans doute que le A, si fréquent dans le langage ordinaire, se trouve ici constamment remplacé par le t: c'est en effet une règle de leur poétique. |
* (1) Mauaé, nom de la mère du jeune homme, désigné lui-même sous celui de fils de Para. |
Traditions historiques. —La plupart des événemens remarquables de l'histoire des Sandwich sont conservés traditionnellement dans des poèmes confiés à la mémoire d'une espèce de bardes ou de rhapsodes, qui, attachés au roi ou bien 'aux principaux chefs (4), voyagent dans les diverses parties de l'archipel, et chantent dans les fêtes publiques. Cet office est héréditaire, et les pièces versifiées sont transmises du père au fils comme un héritage. seroit d'un haut intérêt pour l'histoire et pour la philosophie, que ces morceaux intéressans fussent recueillis avec exactitude, et publiés par les personnes qui, ayant fait un long séjour dans ce pays, en connoissent bien le langage. Plus tard l'écriture, en se répandant chez les habitans, rendra inutiles ces secours de la mémoire, et peut- être aura-t-on perdu alors pour jamais la trace de ces fils défiés, qui, réunis à l'étude des langues, peuvent mettre un jour sur la voie des migrations qui ont eu lieu parmi les peuples de l'Océanie; sujet entouré maintenant de ténèbres si épaisses. On sait déjà que le nom de Tahiti se rencontre dans quelques-unes de ces histoires chantées, circonstance qui semble offrir la preuve que les Sandwichiens ont eu autrefois des communications avec les habitans des îles de la Societé, et que peut-être même leur première population n'a pas eu d'autre origine que la leur. Aujourd'hui que les missions chrétiennes sont répandues dans un si grand nombre d'archipels, depuis la Nouvelle-Zélande jusqu'aux Sandwich, on ne sauroit trop insister sur l'importance qu'il y auroit à réunir ces précieux documens de l'histoire. Aux Mariannes, à Timor, et dans tant d'autres îles où l'écriture étoit aussi inconnue jadis, on a négligé (1) Nom de localité. |
ces curieuses recherches; les pertes qui en résultent pour la science sont immenses, et de tardifs regrets ne sauroient aujourd'hui remplir de telles lacunes. Espérons que, pour les pays où il en est temps encore, les voyageurs éclairés fixeront sur cet objet toute leur sollicitude. Calendrier. — On retrouve aux Sandwich cette année de treize mois lunaires, connue en Chine, et qui s'étoit également introduite aux Mariannes: nous ignorons comment les Sandwichiens fixent l'époque où elle commence, quoique nous sachions fort bien que certaines cérémonies religieuses coïncident avec son origine. M. Marin, de qui nous tenons ces détails, a bien voulu nous faire connoître aussi les noms affectés à chacun de ces mois; les voici tels qu'ils ont été transcrits par M. Gaimard: 1. Ounana. 8. Mohoé. 2. Makari. 9. Aïtiti. 3. Taouna. 10. Aoukoua. 4. Inaérééré. 11. Itoua. 5. Taouroua. 12. Varaou. 6. Koïrou. { Onagno. 7. Kamaoué. 13. { Kaono (1). La religion des Sandwich, qui a une conformité frappante avec celle de la Nouvelle-Zélande, des îles de la Société, des Amis, et de plusieurs autres îles du Grand-Océan peuplées par la même race d'hommes, offre un amalgame confus et informe des croyances des Chinois (2), des Indiens, des Égyptiens, et des dogmes de quelques-unes des religions propres aux anciennes nations européennes, sans en exclure les doctrines primitives qui font la base du christianisme. Comme dans la plupart des religions païennes, les attributs de la divinité forment ici autant de dieux différens [akoua], ou d'esprits particuliers auxquels a été attribué ie pouvoir de dispenser le bien et le mai au genre humain, suivant le mérite de chacun: leur résidence habituelle est placée dans les idoles ou dans le corps de certains animaux. Une (1) Nous ne savons pas pourquoi ce treizième mois porte ainsi deux noms, et quelle est la signification affectée à chacun des mots de cette liste. |
hiérarchie immuable soumet aux dieux les plus puissans, ceux qui exercent un moindre pouvoir; les ames des rois, des héros, de certains prêtres, forment une légion de dieux inférieurs et tutélaires, subordonnés également entre eux, selon le rang qu'ils occupèrent sur la terre. De malins esprits, qui ne se plaisent qu'à nuire, sont l'objet de conjurations et d'exorcismes. Des prêtres, des sorciers, des augures, des offrandes, des sacrifices humains, les honneurs rendus aux morts, les cérémonies expiatoires et quelques autres, enfin l'établissement des villes de refuge (1), tel est l'ensemble du culte extérieur. Les traditions religieuses (2), comme tout ce qui tient à l'histoire, est conservé dans des compositions rhythmiques. Très-anciennement, disent-elles (3), il fit obscur; et il plut une grande quantité de jours,. pendant lesquels on ne put voir le soleil; quelques personnes très-aimées des dieux obtinrent cependant le retour de la lumière. La mer, en franchissant ses limites, augmenta le danger; ceux qui se réfugièrent sur les plus hautes montagnes d'Owhyhi furent seuls sauvés. La plupart des statues dans lesquelles on prétend que les dieux sandwichiens ont fixé leur résidence, sont gigantesques; elles ont des têtes énormes et des bouches démesurées, dont quelques-unes sont garnies de plusieurs rangées de dents de requin. Notre planche 87 représente les idoles de Riorio, à son morai de Kayakakoua. M. Quoy en a vu ailleurs dont la posture étoit très-obscène. Toutes sont sculptées en bois ou en pierre, parfois avec assez d'art; quelques-unes sont garnies de plumes. Chaque chef possède ses dieux particuliers. Le dieu de la guerre de Taméhaméha se nommoit Tairi, et le simulacre devoit en être taillé pendant les fêtes de la lune. Nié, déesse des volcans (4), étoit sur-tout fort (1) On peut reconnoitre dans cette énumération la vraisemblance de ce que nous avons avancé au commencement de cet article; l'établissement des villes de refuge entre autres paroft calqué sur la loi de Moïse. Voy. Nombres, chap. 35, v. 6, 11 et suiv. |
redoutée des Owhyhiens; les tremblemens de terre, les flots de lave, les pluies de cendres et de pierres, étoient la marque de son courroux, qu'on s'empressoit d'apaiser par des offrandes ou des sacrifices. Il y avoit aussi des divinités maritimes en grand nombre; le requin, le dieu des vents, ceux du beau temps, de la pluie et des orages, étoient adorés, et on leur adressoit des prières pendant la tempête. Au nombre des rois et des héros déifiés, la tradition place des géans d'une grandeur prodigieuse, qui, pour la plupart, sont considérés comme des divinités tutélaires. Miri, l'un de ces rois, a plus particulièrement les morts dans ses attributions. M. Guérin a vu, chez de pauvres gens, des idoles de dix-huit pouces de long tout au plus, soigneusement enveloppées dans un morceau d'étoffe, et paroissant être des dieux pénates. Ii en est qui adorent des poules, des lézards, des kankerlas, des chouettes, des rats, &c. Les. ames des défunts qui n'ont aucun droit à l'apothéose, sont censées voltiger près du lieu de leur première demeure, jusqu'à l'instant où elles deviendront la nourriture des dieux. ll n'est pas sûr qu'on reconnoisse l'immortalité .de l'ame des gens de la dernière classe du peuple; mais c'est un préjugé bien établi que les morts apparoissent aux vivans, et communiquent avec eux en songe. Des prières sont adressées aux dieux par les prêtres des idoles: ce sont eux qui étouffent ou assomment les victimes destinées aux sacrifices. Les offrandes consistent en porcs, volailles, fruits ou nattes; en poissons pour les dieux marins, en victimes humaines (r) pour ceux de la guerre, pour la déesse des volcans et les requins. S'agit-il d'une entreprise im- (1) Bryant (Mythology explained, t. II) montre que c'est une opinion uniforme et qui a prévalu de toute part, que la rémission ne pouvoir s'obtenir que par le sang, et que quelqu'un devoit mourir pour le bonheur d'un autre. "Tout Gaulois attaqué d'une maladie grave ou soumis au danger de la guerre, dit J.h de Maistre dans ses Éclaircissement sur les sacrifices, immoloit des hommes ou promettoit d'en immoler, ne croyant pas que les dieux pussent être apaisés ni que la vie d'un homme pût être rachetée autrement que par celle d'un autre. Ces sacrifices, exécutés par la main des druides, s'étoient tournés en institution publique et légale; et lorsque les coupables manquoient, on en venoit au supplice des innocens." Un usage analogue étoit établi aux Sandwich; les personnes qui avoient rompu le tabou, et les prisonniers de guerre, étoient désignés comme les premières victimes; après quoi on amenoit des victimes innocentes. |
portante, l'aruspice examine les entrailles des victimes, la direction des nuages, et d'autres signes célestes, pour connoître la volonté des dieux; ensuite, se plaçant dans l'intérieur de l'espèce d'obélisque qu'on voit figuré sur notre planche 87, il annonce au roi ou au chef qui le consulte, si les présages sont favorables ou défavorables à ses projets. Parmi les prêtres, la classe distincte des sorciers est réputée avoir, par ses enchantemens, la faculté de faire mourir ou de rendre malade toute personne dont ils veulent se venger; heureusement le charme peut être combattu ou même rejeté sur son auteur par un magicien plus habile ou par des formules plus efficaces. On peut dire que ces pratiques ténébreuses sont, dans les idées superstitieuses des Sandwichiens, ce qu'il y a de plus invétéré. Dans chaque mois lunaire, ils célèbrent quatre fêtes: celle de la nouvelle lune dure trois nuits et deux jours, et les trois autres deux nuits et un .jour. Les hommes qui assistent à ces cérémonies ne peuvent, sous peine de la vie, parler à aucune femme; il est également interdit à qui que ce soit de naviguer, de pêcher du poisson pour sa nourriture, de fabriquer des étoffes, ni de se livrer à aucun jeu pendant la célébration de ces fêtes. Un insulaire adorateur des requins, croyant qu'il est possible à l'ame humaine de se loger dans le corps de ces animaux, expose son enfant mort-né sur une natte, met à côté deux racines de taro, une d'ava et un morceau de canne à sucre, récite des prières, puis jette le tout à la mer: il se persuade qu'en vertu de cette offrande, la transmigration de l'ame de l'enfant dans le corps d'un requin s'opérera, et que dès-lors ce monstre redoutable sera disposé à épargner les membres de la famille qui pourroient être plus tard en butte à ses attaques. Dans les temples dédiés à ces voraces lamies, il y a des prêtres qui, au point du jour et à son déclin, adressent des prières à l'idole qui en retrace l'image: ils se frottent assidument avec de l'eau et du sel, qui, en séchant sur leur peau, la fait paroître couverte d'écailles; ils se couvrent d'étoffes rouges, poussent des cris perçans, sautent par-dessus l'enceinte du temple, et font croire aux insulaires qu'ils connoissent l'instant où les enfans qu'ils ont jetés à l'eau sont devenus requins: révéla- |
tion qui leur vaut, de la part des parens, d'abondantes offrandes de petits cochons, de racines d'ava, de cocos, &c. Jadis il y avoit six mois pendant lesquels il étoit défendu de pêcher des bonites et quelques autres poissons dont nous n'avons pu connoître le nom. Un mois lunaire est consacré aux amusemens qui précèdent le commencement de l'année; les chefs et les prêtres n'ont, à cette époque, aucun devoir religieux à remplir; mais personne ne peut aller à la guerre pendant que durent les fêtes du nouvel an, époque où tous les habitans se rendent au morai, et reprennent le cours des exercices de leur culte. On adore alors trois espèces d'idoles. La principale, appelée Kékou-Aroha, est promenée autour de l'île par un prêtre: tout ce que celui-ci peut saisir de la main gauche est de bonne prise; si c'est une personne qu'il arrête de la sorte, elle est tenue de prêter assistance pour conduire ou porter jusqu'au temple les chiens, cochons, végétaux, et autres denrées sur lesquelles la main-mise a été ou sera exercée durant le trajet. Tous les villages doivent un tribut au roi. Lorsque ces tributs ne sont pas exactement payés, on fait sortir du temple une idole par le Nord et une autre par le Sud: cette dernière ne doit parcourir qu'une douzaine de milles, après quoi on la rapporte au point d'où elle est partie; l'autre fait une tournée plus longue, et tous les habitans des lieux qu'elle parcourt sont astreints à payer un double tribut. Le dieu principal, nommé Rono ké maka ihi [Rono] (1) faisant une irruption soudaine pour se nourrir], est porté par un prêtre, qui, étant tabou pendant qu'il remplit ces fonctions, ne peut toucher à rien avec ses mains; il faut dès-lors que les chefs des villages où il s'arrête, ou bien que le roi lui-même qui l'accompagne, fui mettent dans la bouche les morceaux qu'il doit manger. Le dieu est ramené au temple le vingt-troisième jour après sa sortie; mais avant que le roi pénètre dans son enceinte, deux hommes lui jettent leur lance, (1) Rono étoit ur ancien roi d'Owhyhi, qui, sur te point de quitter cette île dans une pirogue, promit de revenir. Ne le voyant point reparoître, les habitans l'adorèrent comme un dieu; et croyant plus tard, lorsque le capitaine Cook arriva dans ces parages, que c'étoit leur dieu Rono qui revenoit, ils se prosternèrent à ses pieds. La mort de ce grand navigateur fut occasionnée par une fatale méprise, dont les détails ayant été consignés dans plusieurs ouvrages modernes, ne nous occuperont point ici. |
qu'il doit détourner avec la main sans bouger de place; l'entrée alors lui est permise, et la cérémonie se termine par des prières. Tabou. — Le tabou est une institution à-la-fois civile et religieuse; sa transgression est punie du dernier châtiment. Ce mot signifie prohibé ou défendu, et désigne tout-à-la-fois la chose prohibée, la prohibition ellemème, et la personne qui Pa enfreinte. Les temples, les idoles, les objets de toute nature appartenant à leur culte; les noms mêmes du roi et des principaux chefs, et leurs propriétés; une pirogue destinée à faire une longue traversée, et pour laquelle on pense par-là obtenir une navigation favorable; une occupation, une action quelconque, dont on juge à propos que certaines personnes s'abstiennent: toutes ces choses sont soumises à la consécration du tabou, qui s'opère avec le concours de l'autorité civile . et de l'autorité sacerdotale. Des piquets garnis d'un morceau d'étoffe blanche suffisent pour marquer les limites d'un tabou; celui qui oseroit les franchir, se rendroit aussi coupable que s'il profanoit. les attributs de la divinité la plus révérée. Il y a des tabous qui sont on particuliers ou généraux, selon des cas déterminés. La religion du roi et des chefs veuf que toute personne qui mange avec les hommes ne puisse manger avec les femmes, sous peine de la vie. Ii est également défendu à toutes les femmes de manger du cochon, des bananes, des cocos, des requins, des tortues, et une espèce de poisson de couleur incarnate; mais elles ont la faculté d'user comme aliment de la chair des chiens rouges. L'entrée dans les cases où mangent les hommes leur est également interdite." Chaque mois, à une certaine époque, dit M. Gaimard, l'eau de la mer est tabouée pour elles, ce qui les empêche alors de s'y baigner." Morais, héiaos ou temples. — Tous ne sont pas de la même grandeur ni disposés de la même manière. Celui de Riorio, à Kayakakoua, étoit circonscrit par uné simple palissade quadrangulaire, au milieu de laquelle on voyoit douze idoles à formes gigantesques et hideuses; deux étoient renversées, sans qu'on eût l'air de s'en inquiéter beaucoup (voyez pl. 87). A côté s'élevoit l'obélisque en bois léger dont nous avons parié plus haut; une petite balustrade entouroit ensuite une plate-forme, aussi en bois, supportée par deux piquets fichés en terre; c'est là qu'on immoloit |
les hommes ou les animaux offerts en sacrifice à ces affreuses divinités. Les offrandes de poissons se plaçoient dans la bouche même de l'idole qui en étoit l'objet. Une quantité assez considérable de pierres, répandues çà et là et sans ordre, couvroit la surface du sol; nous ne pûmes nous en faire expliquer la cause. Au milieu, de même qu'à l'extrémité droite de l'enceinte, il y avoit des cases en bois, recouvertes en feuilles de latanier; une étoit réservée au roi pendant certaines cérémonies, et les autres aux prêtres: toutes étant fermées, il nous fut impossible de découvrir ce qu'elles contenoient. Le morai de Taméhaméha, à peu de distance du précédent, offroit une disposition analogue, avec cette différence néanmoins que presque toutes les idoles y étoient renversées, et que la maison sacrée du souverain étoit ouverte et remplie de meubles, de fabrique européenne ou chinoise, qui avoient servi au roi défunt (1). A Kohaïhaï, le héiao, situé sur une hauteur voisine, avoit une enceinte en pierres sèches proprement ajustées, et fort élevée; on eût dit des murs d'une forteresse. Nous ne pénétrâmes point dans son intérieur, mais on nous dit que la disposition en étoit semblable à celle que nous connoissions déjà. Villes de refuge. — Les Sandwichiens nomment ces enceintes pouhonouas (2). Elles offrent un asile inviolable aux coupables fugitifs, qui, voulant se soustraire à la vindicte publique ou à de justes représailles, sont assez heureux pour en atteindre les limites. Plusieurs vastes ouvertures, les unes tournées du côté de la mer, les autres faisant face aux montagnes, en rendent l'entrée prompte et facile, à toute heure, pour tous ceux qui se présentent. Là le meurtrier, l'homme qui-a rompu le tabou ou manqué à quelques-unes de ses rigoureuses observances, le voleur, l'assassin même, trouvent protection et sécurité, dès qu'ils sont parvenus à dépasser le seuil d'une des portes. En temps de guerre, un pavillon blanc, sans cesse arboré sur un plan saillant à chaque extrémité de l'enclos, avertit tout combattant, ami ou ennemi, forcé de fuir les coups du vainqueur, que ce lieu est pour lui un port assuré de salut. (1) Voyez ce qui a été dit ci-dessus, p. 584. |
Les prêtres préposés à sa garde et leurs servans mettroient immédiatement à mort le profane assez téméraire pour poursuivre au-delà des bornes sacrées quiconque viendroit se placer sous la sauvegarde de Kéavé, divinité tutélaire de ces retraites inviolables. C'est fi aussi que les femmes, les enfans et les vieillards des districts voisins se réfugient, lorsque les hommes vont combattre. L'enceinte renferme des maisons où logent les prêtres et les personnes qui y jouissent du droit d'asile: les unes après un espace de temps réglé par la coutume, les autres après la cessation des hostilités, retournent dans leurs demeures habituelles sans avoir désormais rien à craindre. Il existe plusieurs villes de refuge à Owhyhi; l'une d'elles, située sur la côte occidentale de cette île, n'a pas moins de sept cent quinze pieds sur quatre cent quatre de circuit, et les murailles ont douze pieds de hauteur et quinze d'épaisseur. Diverses idoles en sont instituées les protectrices. Naissances et mariages. — On ignore quelle est la nature du contrat qui unit les époux entre eux; mais il peut se rompre par consentement mutuel ou à la volonté de l'un des deux. La polygamie est permise, toutes les fois que le mari a suffisamment de biens pour nourrir plusieurs femmes. Aucun lien de parenté n'est un obstacle au mariage: le frère peut épouser la soeur; le fils la femme répudiée ou la veuve de son père. Autrefois, assure-t-on, il n'étoit pas sans exemple de voir .des femmes bigames. Les chefs, comme aux Mariannes, ne s'allient qu'entre eux; ordinairement ils épousent leurs plus proches parentes, pour ne pas déroger: il ne paroît pas douteux que des vues politiques n'influent aussi sur leurs alliances. Nous n'avons pas ouï dire que la naissance des enfans donnât lieu à aucune cérémonie particulière, soit civile, soit religieuse. On a vu plus haut quel droit épouvantable ont le père et la mère sur la vie de ces pauvres créatures. Funérailles. — Rien n'étoit mystérieux chez les Sandwichiens comme ce qui tenoit aux sépultures. On se rappelle que, malgré leur desir et des tentatives multipliées, les compagnons du capitaine Cook ne purent jamais parvenir à voir les cérémonies qui se pratiquoient dans ces cir- |
constances; n'ayant pas été plus heureux, nous extrairons de l'ouvrage d'un voyageur mieux instruit (1), quelques notes curieuses sur cette matière. "A la mort d'un roi ou d'un chef du premier ordre, on brûle ou l'on enterre son corps, après en avoir enlevé les os des bras et des jambes, quelquefois même le crâne: ces os, liés avec de petites tresses en kair [cinet], sont enveloppés d'étoffe, et exposés dans les héiaos à la vénération publique, ou distribués aux plus proches parens du défunt. "On inhume en entier les corps des prêtres et des chefs d'un rang inférieur qui, n'étant pas de race divine, n'ont pas droit aux mêmes honneurs; les premiers reçoivent la sépulture dans l'enceinte même du temple auquel ils ont appartenu. En aucun cas, le corps n'est soumis à des ablutions: s'il est celui d'une personne de quelque importance, on l'enveloppe de plusieurs doubles d'étoffe de mûrier à papier, et on le place debout dans la fosse. Quant aux gens du bas peuple, ils enterrent leurs morts d'une façon assez singulière: on incline en avant la partie supérieure du corps; on fait passer les mains sous chaque jarret, et on les ramène entre les genoux, auxquels on les assujettit en les y liant en même temps que la tête. En cet état, on entoure le mort d'une étoffe grossière; et après un certain intervalle, on le dépose dans la fosse, en lui conservant la posture d'un homme assis. "Aucune cérémonie religieuse n'accompagne les funérailles; elles ont presque toujours lieu clandestinement et durant la nuit. Un homme du peuple, assure-t-on, qui verroit un convoi funèbre passer devant sa maison, insulteroit de propos et de gestes les personnes occupées à conduire le défunt à sa dernière demeure, en leur reprochant avec vivacité d'avoir donné à leur démarche une direction qui devoit lui porter malheur. Cette frayeur superstitieuse est fondée sur la persuasion que rame d'un trépassé revient sous le toit de sa famille, qu'elle suit pour y arriver la même route qu'on avoit fait prendre à son enveloppe mortelle, et s'amuse à tourmenter en, passant tous ceux qui ont leur habitation sur cette route. (1) Ellis, op. cit. |
"Il existe des espèces d'ossuaires consacrés à recevoir les restes révérés des rois et des princes (1). Pour des personnages moins importans, on se contente de tombeaux composés de pierres sèches assemblées avec art au-dessus de la fosse (2). Les gens du peuple n'inhument leurs morts dans des lieux isolés, que lorsqu'ils y sont forcés par la circonstance; c'est d'ordinaire dans leurs jardins ou leurs maisons qu'ils les confient à la terre. Toutefois, quand les localités le permettent, des cavernes naturelles, ouvertes dans le flanc de quelque montagne voisine, deviennent le lieu de sépulture des habitans: dans tel village, on y entasse les morts pèle-mêle; dans tel autre, chaque famille peut, à sa grande satisfaction, choisir une de ces cavités pour y déposer à part le corps des défunts de la parenté." Après le décès d'un roi ou d'un chef considérable, on témoigne son deuil et sa douleur en se faisant des tatouages sur la langue, ou sur le corps diverses blessures; plus le mort occupoit un rang distingué, plus on se fait un devoir d'en accroître le nombre et la profondeur. Telles étoient celles que nous remarquâmes sur le corps de Poui (3), dès notre. arrivée sur ces bords. Kamahamarou, reine favorite de Riorio, avoit au visage et sur la poitrine les cicatrices de plusieurs brûlures qu'elle s'étoit faites lorsqu'elle perdit le roi Taméhaméha, son père. Ces marques indélébiles peuvent s'apercevoir stir une des figures de notre planche 83. C'est dans le même but, dit M. Gaimard, que les habitans se cassent une ou plusieurs dents incisives: ils se dégradent ainsi la mâchoire à l'aide d'un morceau de bois et d'une pierre, qui sert de maillet. Quoique cette coutume extravagante soit presque générale, elle n'est cependant pas de stricte obligation, et l'on compte quelques insulaires -qui commencent à en sentir l'absurdité: Kéié-Koukoui, pilote royal, et Kraïmoukou, beau-frère du roi, étoient de ce nombre. Sur l'observation qui fut faite à ce dernier, qu'il n'avoit pas en cela suivi l'exemple de ses compa- (1) Celui de Taméhaméha étoit à Kayakakoua, près de son moral; c'étoit, avons-nous dit page 525, une grande cabane en bois, fermée de tous côtés. |
patriotes, il répondit: Le nombre des fous est assez grand, je n'ai pas voulu l'augmenter." Un signe de deuil fort répandu, mais qui au moins n'a rien de douloureux, consiste à se tondre une partie de la tête, chacun à sa manière et selon son caprice. Kéohoua, femme du prince gouverneur d'Owhyhi (pl. 83), offre un exemple du dessin qui est le plus ordinairement suivi. Tel, au lieu d'une touffe de cheveux isolée au sommet de la tête, se fait seulement une tonsure à cette même place;,tel autre ne conserve qu'une zone de cheveux qui va d'une oreille à l'autre; tel enfin trace dans sa chevelure un sillon qui suit la, même direction que la zone du précédent. On a vu qu'un usage analogue subsiste aux îles Carolines (1) et aux Mariannes (2). Le désespoir qu'on affecte après la perte des personnes royales ou de haute noblesse, présente encore une similitude remarquable avec ce qui a lieu en pareil cas chez les Mariannais (3). Quand nous abordâmes à Owhyhi, des signes de désolation s'offrirent par-tout à nos regards, et attestèrent les excès qui avoient été commis à la mort récente de Taméhaméha. Dans ce moment de crise, l'anarchie déploie toutes ses horreurs: on viole effrontément les lois et les prescriptions du tabou; les alimens prohibés sont dévorés sans scrupule, principalement par les femmes; le droit de propriété est méconnu; la force devient la loi suprême; la voix des chefs est impuissante; on venge les vieilles inimitiés par le sang ou par le pillage; en un mot, des scènes incroyables de désordre (4), de cruauté et de libertinage, se renouvellent de toute part, encouragées par l'impunité. Le calme ne commence à renaître que lorsque l'héritier de la puissance royale en est définitivement investi. Telle est la manière dont le bas peuple, dégagé momentanément de tout frein, exprime les regrets qu'il est censé ressentir à la mort de son souverain. Dans les classes plus relevées, les pleurs et les chants funèbres (1) Voyez plus haut, pag. 117. |
sont les témoignages de vénération et d'attachement qu'on a coutume de donner aux personnes d'un rang élevé, soit durant leur maladie, soit long-temps après qu'elles y ont succombé. Nous avons vu à Kayakakoua le pilote royal aller pleurer', tantôt seul, et tantôt accompagné d'un autre chef, près du tombeau de Taméhaméha. M. Ellis (op. cit) rapporte un fragment curieux d'une des complaintes qui se chantent dans ces tristes circonstances; le voici (1): Table 603Abolition de l'idolâtrie. — Ainsi que nous l'avons dit dans une note de notre précédent chapitre (page 537), Riorio et ses adhérens, au nombre desquels figuroit avec distinction son premier ministre Kraïmokou, détruisirent, vers la fin de 1819, aux Sandwich, le culte des idoles, dont les images furent rapidement renversées et les temples abandonnés. Presque immédiatement, des hommes instruits et zélés envoyés par la Société des missions anglo-américaines, arrivèrent sur l'île Atouaï, et furent favorablement accueillis. Parmi eux se trouvoient un nombre de prédicateurs méthodistes, d'agriculteurs, de médecins, de maîtres d'école et un imprimeur: ces agens se sont successivement et rapidement étendus sur tout l'archipel. Des missionnaires catholiques français y sont arrivés aussi (3) en septembre 1827. Onorourou est le centre d'activité d'où émane l'impulsion nouvelle imprimée it la religion, aux moeurs et (1) Voyez la note de la page 586. |
au commerce. Puisse cette révolution, trop rapide peut-être, ne pas produire des fruits amers, et procurer le bonheur et la paix à une population intéressante, qui paroît desirer sincèrement de s'améliorer! Quoique, pendant notre séjour à Owhyhi et à Mowi, nous ayons assisté à plusieurs divertissemens sandwichiens, il nous semble que l'amour du jeu y étoit moins répandu encore qu'à l'île Wahou. Jeux d'action. —Les habitans passent, autant qu'ils le peuvent, le milieu du jour à dormir ou à manger: ils se promènent peu; mais, pour faire de l'exercice, ils se livrent à differens jeux d'action qui les retirent au moins momentanément de leur indolence native. La balançoire est un de ceux qu'ils préfèrent, et des plus simples. A la cime inclinée et élevée d'un cocotier on amare une longue corde, terminée, à sa partie inférieure, en une ganse qui sert à fixer un morceau de bois aplati, sur lequel viennent successivement s'asseoir les personnes de tout âge et de tout sexe, mais sur-tout les jeunes gens de Kayakakoua: les enfans étoient tellement passionnés pour ce passe-temps, qu'il étoit rare de ne pas voir quelque marmot se balancer à quelque heure que ce fût de la journée. Ils ont un autre amusement de la même nature; mais où, au lieu de donner un mouvement d'oscillation à la corde, on lui en imprime un de rotation. Dans celui-ci, l'extrémité supérieure de cette corde est assujettie à la cime d'un fort poteau vertical, de trente, à quarante pieds de hauteur, solidement planté en terre. La natation est aussi un de leurs plaisirs favoris; hommes, femmes et enfans déploient dans cet exercice tant d'aisance et d'habileté, qu'on seroit tenté de les prendre pour de véritables amphibies: nous en avons vu suivre et atteindre la corvette, lorsque nous filions de quatre à cinq noeuds; d'autres, bravant le choc impétueux des vagues, s'élancer du rivage au milieu du ressac effroyable produit par un vent du large. Le nageur se munit quelquefois d'une pièce de bois façonnée exprès, de six ou sept pieds de long sur un de large, et bombée à l'une de ses faces (voy pl. 86): il la tient avec les mains, et s'y couche à plat ventre, la tête vers la partie arrondie; ou bien il se sert de ses mains en guise de rames, et dirige des pieds cette espèce de scaphandre avec une adresse et une promptitude étonnantes. |
Étant à Raheina, nous aperçûmes une pirogue qui se dirigeoit sur la côte pendant que le vent souffloit du large; la lame déferloit avec violence sur les récifs et sur la grève; tout nous faisoit trembler sur le sort de cette embarcation: cependant l'homme et la femme qui la montoient ne laissoient paroître ni trouble ni inquiétude; avec la rapidité- de la flèche, ils franchirent un trajet de plusieurs encablures, et abordèrent pour ainsi dire à sec sur le rivage. Certes, un de nos canots eût été submergé ou fracassé en pareille circonstance. Le jeu nommé horoua ressemble beaucoup, autant qu'il nous a été possible d'en juger, à celui que nous connoissons en Europe sous le nom de montagnes russes. Les courans nous ayant fait dériver jusque par le travers de Karakakoua, nous remarquâmes une tranchée très-apparente pratiquée sdr le penchant d'une montagne. C'étoit là, nous dit notre pilote Kéihé-Koukoui, que Taméhaméha aimoit beaucoup à aller glisser. Le lit des rigoles de ce genre est soigneusement aligné; puis on y sème une herbe menue qui, après avoir poussé, se dessèche à l'ardeur du soleil. C'est alors que les amateurs peuvent y venir prendre leurs ébats. Le joueur, si j'ai bien compris, est couché à plat ventre sur un traîneau, et s'élance la tête la première sur la glissade. Si plusieurs personnes prennent ensemble cette récréation, la victoire est à celle qui, donnant à son traîneau une plus forte impulsion, ou le dirigeant avec plus d'adresse, lui fait parcourir d'un seul jet un plus long intervalle. Taméhaméha avoit plusieurs de ces jeux préparés en divers endroits des îles Sandwich, et il prenoit plaisir à s'y rendre avec sa femme favorite. On dit que la lutte, les courses à pied, le pugilat, font aussi partie de la gymnastique des habitans; mais nous n'avons été témoins d'aucun de ces exercices. Les insulaires de Wahou paroissent très-passionnés pour le jeu de maïta. Nous assistâmes à une partie à laquelle Boki, chef principal de l'île, présidoit en personne, à la vue d'environ deux ou trois mille spectateurs, rassemblés sur une plaine unie et assez vaste. il s'ag ssoit de faire rouler à la plus grande distance possible un disque ou palet parfaitement poli, ayant trois pouces environ de diamètre, un pouce d'épaisseur à son bord, et au moins le double au centre. Le nombre des joueurs |
étoit déterminé d'avance; celui qui alloit le plus loin recevoit le prix convenu. Les paris étoient nombreux. Des cris, des éclats de rire, faisoient retentir l'air, lorsque l'un des concurrens, plus adroit ou plus vigoureux, l'avoit emporté sur un autre qui se croyoit déjà vainqueur. La distance à laquelle le disque arrivoit ordinairement, nous parut varier entre trois cent cinquante et quatre cents pieds. "Nous ne pouvions trop admirer, dit M. Quoy, l'efficacité du moyen employé pour contenir cette multitude bruyante hors de l'enceinte réservée aux joueurs: trois ou quatre lances plantées en terre suffisoient pour en marquer les limites, qu'au moyen du terrible tabou nul n'eût osé franchir. Quelle différence avec nos grandes réunions du même genre, où, malgré toutes les ressources d'une police nombreuse, on a tant de peine à maintenir l'ordre ! Pendant les combats 'de coqs, si fréquens à Guam, des coups de bâton généreusement distribués maintenoient la populace, avide de spectacle, dans les bornes qui ne devoient pas être franchies." Le maïta se joue encore d'une autre manière, qui consiste à faire passer le disque entre deux lances fichées en terre à quelques pouces seulement d'intervalle, et à cent pieds.environ des joueurs. D'autres fois, au lieu de disque, on emploie une espèce de javelot nommé pahé (pl. 90, fig. 4); les conditions du jeu sont au reste les mêmes que pour le mata, et donnent lieu au même enthousiasme et aux mêmes paris. M. Guérin les a vus aussi dresser une rangée de demi-cerceaux fichés en terre dans une direction rectiligne, et sous laquelle les joueurs visent à lancer leur pahé: on compte autant de points que le projectile a dépassé de compartimens de cette espèce de berceau, et celui qui atteint le premier au nombre de points convenu, gagne la partie. Souvent ils s'amusent à sauter sur une grosse boule en pierre bien polie, et ils y demeurent en équilibre le plus long-temps qu'ils peuvent. Ces'insulaires, les chefs sur-tout, aiment beaucoup saisir à la volée, en évitant d'en être touchés, des javelots qu'on leur lance (1): mais avant 1) Les Timoriens ont précisément le même exercice. (Voyez t. I, pag. 710.) |
de devenir capables d'exécuter ce tour d'adresse périlleux, ils s'appliquent long-temps à parer de la sorte les coups moins meurtriers d'une canne à sucre. Cet exercice, purement militaire,' n'a pourtant pas le mime but d'utilité depuis que les armes à feu se sont multipliées aux Sandwich. Jeux de combinaison. — On nomme konané un jeu qui a quelque rapport avec notre jeu de dames, et qui paroît soumis à des règles fort compliquées. Le damier, comme le nôtre, est divisé en cases alternativement blanches et noires, mais beaucoup plus nombreuses: les pions sont des cailloux noirs et blancs aussi; ils se placent sur les cases de la couleur analogue, et il en reste seulement de celles-ci quelques-unes de vides, où doivent se jouer les premiers coups. Les pions marchent diagonalement, et souvent il arrive qu'on peut en prendre un grand nombre à-la-fois. Au reste, nous n'avons pu donner à ce jeu assez d'attention pour en saisir les combinaisons diverses. Le bouhénéhéné est une récréation équivalente à la pantoufle cachée de nos enfans. On place par terre plusieurs pièces d'étoffe les unes à côté des autres; les joueurs et les parieurs forment un cercle tout autour, et sont partagés en deux bandes. Un des premiers tient une petite pierre, dans sa main droite; met son bras jusqu'au coude successivement entre les plis de chacune des pièces d'étoffe, et dépose la pierre sous une d'elles, en observant d'agir avec assez d'adresse pour n'etre point découvert. Ses partners ont les yeux fixés sur tous ses mouvemens, et doivent désigner sans hésitation avec une baguette celle des pièces d'étoffe sous laquelle la pierre a été cachée; celui qui rencontre juste a gagné. Le bouhénéhéné est par-tout fort en vogue, et il n'est mime pas rare de voir des personnes du peuple le jouer sur le rivage: plusieurs tas de sable de deux pieds à deux pieds et demi de long, sur un pied de large et six à huit pouces de haut, remplacent en ce cas les pièces d'étoffe. Nous avons vu à Wahou des enfans lancer des cerfs-volans à une hauteur prodigieuse; mais nous ignorons si ce passe-temps ne leur est pas venu des Européens. Danse, musique. — Les Sandwichiens ont diverses sortes de danses, et se livrent à cet amusement avec beaucoup d'ardeur: les femmes, dit-on, y remplissent ordinairement les principaux rôles. Mais en général |
il n'est point question ici de déployer la souplesse du jarret et de bondir en cadence; les bras sont presque les seuls agens de leur chorégraphie: qu'il soit debout ou accroupi sur ses talons, c'est à gesticuler que le figurant s'applique (voyez planche 88). Il chante en exécutant sa pantomime, et des musiciens joignent presque toujours leurs voix à la sienne, en s'accompagnant eux-mêmes de divers instrumens, au nombre desquels est un tambour pareil à ceux que nous avons vus entre les mains des Guébéens et des habitans de Timor." Il n'est pas rare, dit M. Duperrey, de voir les chanteurs s'accompagner avec deux bambous de différentes longueurs dont ils tirent un son assez agréable, en les frappant sur une pierre dont la partie supérieure est recouverte d'étoffe." A leurs chants sont ordinairement adaptées des paroles dont le sujet, suivant le cas, est tiré soit de traditions historiques ou religieuses, soit de circonstances particulières et individuelles. §. VIII.
Industrie agricole.
La nourriture étant ici en grande partie tirée du règne végétal, et ces îles ne fournissant pas naturellement tout ce qui est nécessaire pour vivre, force a été aux habitans de recourir à l'industrie pour augmenter la masse des produits du sol. Toutefois il s'en faut beaucoup que les bonnes terres aient toutes été mises en valeur; la difficulté des arrose- mens, et la paresse innée des habitans, en sont, je crois, les principales causes. Quoi qu'if en soit, leurs cultures se font avec assez de soin et d'intelligence; nous avons vu même à Mowi et à Wahou de belles plantations qui ne fais- soient rien à desirer; c'étoient principalement des taros, des patates douces, des ignames, des cannes à sucre, des bananiers, des melons, des pastèques, ainsi que les mûriers à papier destinés à la confection des étoffes. On entoure presque par-tout les champs de petits murs (1) en pierres sèches ou en terre; cette dernière construction est sur-tout nécessaire pour le taro, qui, prospérant avec plus de succès dans l'eau, a besoin qu'une (1) Voyez plus haut, page 565. |
sorte de digue empêche celle-ci de s'échapper. La méthode de culture qu'on emploie est sensiblement la même que celle qui est suivie aux Mariannes pour la même plante, connue là sous le nom de soni: après avoir nettoyé le sol, on le tasse fortement avant d'y piquer les oeilletons; on laisse ensuite la racine immergée pendant plusieurs mois, de manière toutefois que les feuilles soient au-dessus de l'eau. Cette culture est très-pénible, en ce qu'elle oblige ceux qui s'y livrent à se mettre dans la vase presque jusqu'à la ceinture, lorsqu'il s'agit d'enlever les mauvaises herbes et de faire la récolte des racines. Le tai() de montagne, confié à un terrain sec, est moins estimé et rapporte moins. -Les cannes à sucre forment parfois des champs distincts à portée des arrosages; d'autres fois -on les place sur le talus des petites digues qui entourent les taros. Les patates et les ignames s'accommodent d'un terrain moins substantiel. La seule attention particulière qu'on donne au bananier et au mûrier à papier, c'est de les mettre dans un soi humide ou à portée d'un courant d'eau. Qufint aux végétaux européens, ils doivent le succès de leur propagation aux soins et à l'intelligence de M. Marin, Le seul instrument aratoire propre au pays est vine espèce de grande spatule [ohojde six pieds de long, représentée planche 9o, fig. 6: l'ouvrier s'en sert comme d'une pioche, en se tenant accroupi sur ses talons. A Wahou, on a généralement substitué à i'oho un outil en fer, emmanché, qui se rapproche un peu du premier par sa forme et la manière dont on le manoeuvre. Les petits oiseaux à plumes brillantes étoient probablement jadis les seuls animaux auxquels les Sandwichiens fissent la chasse: nous ignorons le procédé qu'ifs y employoient; peut-être se servoient-ils de l'arc et de la flèche. Les boeufs et les chèvres sauvages donneront lieu sans doute un jour à des captures plus importantes. La nature abrupte des rivages sandwichiens seroit généralement peu favorable à la pêche au filet, si les habitans n'avoient depuis long-temps construit des pêcheries multipliées sur le rivage, qui, jointes aux lacs naturels qui s'y rencontrent par intervalle, fournissent avec assez d'abondance le poisson nécessaire à la consommation du pays. |
Un filet assez semblable à notre chalut est en usage dans certaines localités. Des lignes fort bien filées, des hameçons, jadis en écaille, en os, en bois, en nacre, et plus récemment en fer, s'emploient sur les points où les filets ne peuvent servir. Enfin, on jette dans les pièces d'eau dormante une plante qui, à ce qu'il paroît, enivre le poisson, et le fait monter sans mouvement à la surface, où il devient pour le pécheur une proie facile. §. IX.
Industrie manufacturière.
Liqueurs fortes. — Les procédés propres à extraire de la racine de ti et de quelques autres substances une liqueur alcoolique', sont dus aux Européens. L'appareil distiliatoire est peu différent de celui des Marian- nais. La cucurbite est en fer fondu, et, pour en augmenter la capacité, on y adapte quelques calebasses, et on lute le tout ensemble. La boisson enivrante nommée ara est maintenant fort peu en vogue; sa fabrication ayant été décrire par plusieurs voyageurs estimés, nous ne nous y arrêterons pas. Teintures. — Les couleurs dont les habitans font usage pour la teinture de leurs étoffes, se réduisent au, noir, au brun, au rouge et au jaune. La première s'obtient de la noix huileuse de koukoui carbonisée, pulvérisée ensuite, et délayée dans l'huile de coco. On procure à cette couleur un reflet brillant très-agréable, en la frottant avec une espèce de fleur jaune répandue en grande quantité dans la campagne, mais qui est demeurée inconnue pour nous. La râclure sèche de la racine du nouni [morinda citrifolia], pilée avec les feuilles et l'écorce du koukoui, produit un suc que l'on recueille dans des fragmens de calebasses, et dont on se sert pour teindre en rouge. Le jaune est le résultat de la trituration de la racine de curcuma [aréna] avec les mêmes feuilles et la même écorce. Sel.—Nos insulaires trouvent dans la fabrication du sel un objet quiest pour eux du plus grand intérêt. Un nombre assez considérable d'étangs salés fournissent en abondance un sei cristallisé assez beau, dont les navires |
qui relâchent dans ces parages peuvent au besoin se procurer une ample provision; l'évaporation a lieu naturellement par l'intensité des rayons solaires. Manufactures d'étofes. — La substance qui sert de base aux étoffes sandwichiennes est l'écorce du mûrier à papier. Après l'avoir retirée de l'arbre, on la met d'abord. tremper pour la ramollir; on en sépare ensuite les filamens par couches, et on les classe par ordre de finesse, les plus délicats devant servir aux étoffes les plus belles. Ainsi triés, ces filamens forment des rubans plus ou moins ténus, qu'on superpose en les plaçant sur une natte, jusqu'à ce qu'on soit arrivé à une épaisseur sensiblement égaie par-tout, et à une étendue en surface convenable à la dimension de l'étoffe que l'on veut faire; puis on les dépose ainsi réunis sur un petit établi élastique, dont la coupe transversale a la forme d'un >, et la longueur proportionnée à la laize que doit avoir l'étoffe. On procède alors au battage, qui se fait avec des battes d'un bois très-dur, les unes. cylindriques, les autres prismatiques, à faces tantôt unies, tantôt cannelées ou striées de diverses manières. Ce sont des femmes qui font ce travail. Placée à l'ouverture de l'angle que forme l'établi (pl. 86), l'ouvrière a l'étoffe étendue devant elle; à mesure qu'une partie en a été battue, elle la roule jusqu'à ce qu'elle ait atteint l'autre extrémité. Cette première façon est réitérée autant de fois qu'il est nécessaire pour amener l'ouvrage au degré de perfection desirable. On change de battes [éié] selon que l'exige l'apprêt à donner. De temps à autre, on humecte l'étoffe avec de l'eau. Enfin, le battage terminé, on la met sécher sur des nattes et en plein air. A la suite de ces manipulations, elle est pour l'ordinaire d'un blanc de lait, et propre à recevoir les dessins et les couleurs dont on veut l'enrichir. La variété de ces dessins est presque infinie; on voit dans tous une extrême régularité et souvent un goût remarquable. Pour teindre la pièce d'étoffe d'une seule couleur, on ia plonge toute entière dans la liqueur colorante, quand son volume le permet; sinon on étale dessus cette liqueur. Ordinairement ce ne sont pas les mêmes femmes qui battent, qui teignent et qui posent les dessins. Celles qui sont chargées de cette dernière opération, se servent de petites règles |
en bambou, et, en guise de pinceaux, d'éclats du même bois taillés à une, deux et trois pointes; elles ont en outre des planches aussi en bambou, sur lesquelles sont gravées en relief, avec assez d'art, des fleurs, des festons et autres figures d'ornement. Pour tremper ces planches dans la couleur et les estamper sur l'étoffe, elles s'y prennent absolument comme nos imprimeurs en papiers de tenture. Des pagnes jaunes, excessivement minces, et ornées de fleurs ou de lignes tracées en rouge et en noir (voyez pl. 83), sont destinées à parer les femmes des chefs les plus élevés en dignité. On rend en quelque sorte imperméables certaines étoffes précieuses, en les enduisant d'une espèce d'huile végétale ou de vernis qui contribue en même temps à relever l'éclat des couleurs. Celles qui n'ont pas subi cette préparation s'altèrent à l'humidité aussi facilement que notre papier. Cordages. — "Les arbres à écorce tenace dont on fait des cordes, des filets, des tresses, et les liens destinés à réunir les pièces des pirogues ou à former leur grément, abondept aux Sandwich; les plus importans sont: le boehmeria ou procris, que les indigènes désignent par les noms de mamaki et olona; les neraudia melastomæfolia et ovata, qu'ils nomment koko-loa; l'hibiscus tiliaceus, ou pago, de Guam, qui est ici très-commun." (M. Gaudichaud.) Remarquons qu'aux Sandwich, comme aux Mariannes, on préfère pour la solidité des roustures et amarrages, les petites tresses de kair aux cordes mêmes qui seroient commises avec cette dernière substance. Divers ustensiles. — Rien n'est simple comme la préparation des calebasses destinées à contenir la poé: on ies vide, après y avoir fait une ouverture convenable, et l'on en retranche ce qui est superflu, soit qu'on veuille en former le corps d'un vase ou un simple couvercle (voyez pl. 90, fig. 13 et 15); celles où l'on met l'eau ou les liqueurs sont ornées de dessins élégans (même pl., fig. 10). Quant aux plats en bois, qui servent aussi à l'usage de la table (idem., fig. 14), l'adresse avec laquelle ils sont travaillés ne seroit pas désavouée par nos plus habiles ouvriers. Nattes. — Ce sont encore les femmes qui s'occupent de la confection des nattes. Elles en font d'une seule couleur, avec des dessins ménagés |
dans le tissage; il y en a de plus ou moins fines, de plus ou moins soignées, suivant l'emploi qu'on leur destine: les unes ont la forme. de manteau; d'autres doivent servir de tapis de pied ou de lit, de voiles de pirogues, ou préserver du soleil les embarcations qui ont été retirées à terre. M. Duperrey en a vu, parmi ces dernières, une qui n'avoit pas moins de quatre-vingts pieds de long. Vannerie. — On fait, avec la feuille du ti, quelques ouvrages dans le goût de ceux de nos vanniers, mais peut-@ire mieux finis: les uns sont d'une seule teinte; les autres, tels que les casques, les éventails, les paniers, le clissage des calebasses où l'on serre les effets précieux, &c., sont nuancés de couleurs diverses. (Voyez pl. 90, fig. 7, 8, 9, 10 et I s.) Ces ouvrages, confiés aussi à la main délicate des femmes, offrent des formes et des dimensions très-variées. Manteaux de plumes. — C'est aussi à leur industrieuse adresse que sont dus les manteaux et les casques en plumes que les chefs portent dans les grandes cérémonies. Ces plumes sont insérées par leur tige dans les noeuds d'un réseau en fil fin et à maille serrée (pl. 85). Les casques, construits d'abord en vannerie, sont recouverts ensuite de ces élégans tissus. Nous diviserons les pirogues sandwichiennes, dit M. Guérin, en pirogues simples et en pirogues doubles. Les premières ont un balancier; les autres n'en ont pas, et ne sont que deux pirogues simples, réunies par des courbes transversales ajustées de manière à laisser entre ces pirogues un intervalle égal à la largeur de l'une d'elles. La longueur de celles-ci va de trente-cinq jusqu'à soixante-quinze pieds; les simples varient entre douze et cinquante. Voici le détail des dimensions d'une de ces dernières: Table 613(1) Les extrémités de la pièce Iongitudinale qui repose sur l'eau sont fréquemment sculptées en tête de lézard. |
"Il n'entre pas un seul morceau de fer dans la construction de ces embarcations, dont la partie principale consiste en un seul tronc d'arbre creusé, auquel l'ouvrier donne la forme qu'il juge être la plus convenable pour rendre leur marche rapide." Plusieurs d'entre elles sont, dans tous leurs détails, portées à un degré de perfection vraiment admirable: l'accastillage sur-tout, ou l'espèce de massif en pièces rapportées qui termine l'avant et l'arrière, ne sauroit être ni mieux uni ni plus artistement joint. On ne contemple pas non plus sans surprise, avec quelle adresse, quelle intelligence, ils parviennent à assembler solidement ies diverses parties de,ces machines flottantes, au moyen seulement de simples coutures en tresse de kair, coutures qu'ils combinent encore de telle sorte que le frottement des eaux de la mer ne puisse les détruire que très-difficilement. Les balanciers des pirogues simples, et les pièces qui réunissent les pirogues doubles à côté l'une de l'autre, sont fixés avec des tresses du même genre, qui forment des roustures d'une incroyable résistance. Un plancher construit entre les deux pirogues jumelles, dans lesquelles sont les rameurs, sert à placer les passagers et les effets que l'on transporte: ordinairement un homme placé de l'arrière de chacune, gouverne avec une grande pagaie; nous avons vu quelquefois cependant un gouvernail établi à demeure au milieu de t'espace qui les sépare. Ii nous a semblé que les pirogues doubles n'étoient qu'à l'usage du roi ou des principaux chefs: ce sont les seules, parmi les embarcations du pays, qui conviennent-à la guerre, et les seules aussi qui aient été autrefois employées à cet objet. Maintenant ces embarcations sont gréées en cutters, c'est-à-dire qu'elles portent, avec une grande voile à corne et à bôme, un ou deux focs; intallation tout-à-fait européenne. Au reste, toutes celles que nous avons vues avec des voiles, les avoient en toile. Ces voiles sont petites, comparées aux dimensions de la pirogue; elles |
avoient sur-tout très-peu de guindant, et il nous a paru que les insulaires ne s'en servent que vent arrière ou. avec du largue. Au lieu de louvoyer, ils aiment mieux aller à la pagaie, et ce moyen en effet est pour eux beaucoup plùs prompt. "La pirogue double dans laquelle MM. Gaimard, Arago; Bérard et Pellion vinrent de Kohaïhaï à bord de l'Uranie, le jour où le roi s'y rendit lui-m@me, étoit armée de dix pagaies d'un bord et de neuf de l'autre. Les matelots ramoient tarit&t en dedans, tantôt en dehors de chaque pirogue, mais en sens inverse; c'est-à-dire que quand les uns nageoient en dedans, ceux du côté opposé nageoient en dehors. Pour avertir de changer la manière de pagayer, un des hommes qui étoit de l'avant frappoit successivement trois coups contre le bord avec sa rame, et au troisième coup la manoeuvre commandée s'exécutoit avec précision." (M. Gaimard). On assure que Rlorio, à la mort de son père, possédoit cent soixante- dix charpentiers constructeurs de pirogues. Ces ouvriers, ainsi que le font les Chinois, tiennent avec leurs pieds les pièces qu'ils travaillent, et notamment toutes celles que nos menuisiers placeroient sur des établis. Les outils dont ils font usage aujourd'hui sont presque tous d'invention et de fabrique européennes: ce sont des haches, des hachots, des herminettes, des ciseaux, des gouges, des vrilles, &c. Ils ont encore un outil qui leur est particulier; il consiste en une espèce de fer à rabot ployé dans sa longueur, sous un angle d'environ 170°, et fixé par une ligature à l'extrémité crochue et aplatie d'un manche. Un galet volcanique très-dur et bien poli, tout-à-fait semblable à ceux dont se servent les joueurs de maïta, supplée aussi au marteau, au moins dans les menus ouvrages. Un seul bâtiment à formes européennes étoit en construction à Kayakakoua, lorsque nous y passâmes; c'étoit une goëlette d'une trentaine de.tonneaux, à peine montée en bois tors, et dont le travail paroissoit suspendu. Un charpentier européen, peu expert, dirigeoit cet ouvragé, auquel prenoient part plusieurs ouvriers du pays. |
§ X.
Industrie manufacturière.
Le commerce qui avoit lieu aux Sandwich à l'époque de notre relâche, étoit en grande partie concentré sur l'île Wahou; avantage que cette île devoit évidemment à la possession du seul port où les navires étrangers puissent de tout temps trouver un abri dans ces parages. Les Angio - Américains exploitoient presque exclusivement ce genre d'industrie. Taméhaméha cependant voulut, en 1817, essayer d'envoyer lui-même en Chine un de ses navires, le brig le Forestier, avec un chargement de bois de sandal. Le capitaine chargé de diriger l'opération étoit Anglais, et les matelots pour la plupart Sandwichiens; la traversée jusqu'à Macao fut heureuse, et le retour aux Sandwich, après sept mois d'absence, non moins favorisé: toutefois les bénéfices furent foin de combler l'attente du spéculateur; les frais avoient absorbé une forte partie du capital, et il fallut bien se contenter de la petite pacotille de nankins, soieries, draps, chapeaux, souliers, porcelaines, vin, rum, sucre, thé, &c., dont on avoit pu faire l'acquisition. Plusieurs navires des États-Unis étoient, ainsi que nous l'avons dit ailleurs (pag. 548), dans le port d'Onorourou. Ces bâtimens, en quittant leur patrie, doublent le cap Horn, se rendent à Nootka ou à tout autre comptoir de la côte Nord-Ouest d'Amérique, et, après y avoir embarqué les pelleteries qu'ils ont pu se procurer, reviennent aux Sandwich,. où ils complètent leur chargement avec du bois de sandal; le tout est ensuite porté en Chine, et échangé contre des marchandises plus convenables aux consommateurs américains. Ifs effectuent enfin leur retour au bout de quatre ans d'absence, et après avoir réellement fait le tour du monde. M. Guérin établit quelques données sur les bénéfices que procurent à ces navigateurs leurs relations avec les Sandwich. "Ils viennent, remarque-t-il, de vendre au roi de ces îles un brig, le Knéo, de 160 à 180 |
tonneaux, pour le prix de 3000 pikols (1) de bois de sandal. En n'évaluant le pikol qu'à 10 piastres, ce bois doit rapporter,. rendu en Chine, une somme de 30 000 piastres (voy. pag. 584). Or, ce navire, y compris les frais d'armement et de voyage, ne peut guère avoir occasionné plus de 10 000 piastres de déboursés: c'est donc, pour une seule affaire, 20 000 piastres [108 600 fr.], c'est-à-dire, au moins 200 pour 0/0 de bénéfice net. "Une peau de loutre coûte à la côte Nord-Ouest, valeur moyenne, une brasse et demie d'étoffe de drap commun, ce qui équivaut. à-peu- près à 3 piastres et demie: la même peau se paie en Chine de 40 à 50 piastres. Le bois de sandal, que l'on sembioit payer aux Sandwich 10 piastres en argent en 1819, étant soldé en marchandises, ne revenoit pas en réalité à plus de 10 à 12 fr. le pikol, et se vendoit de 10 à 12 piastres en Chine. Un fusil de munition étoit censé valoir 15 piastres; la poudre s'y vendoit 15 piastres les 28 livres pesant, poids anglais." Les perles èt la nacre qu'on pêche aux Sandwich sont des objets d'exportation que les trafiquans peuvent avoir à bas prix, et qui augmentent encore les avantages énormes qui sont ordinairement le résultat de telles spéculations. Pour activer les chargemens, un agent spécial demeure sur l'île Wahou, et fait rassembler dans des magasins, pendant l'absence des navires commis à ses soins, les marchandises qui leur sont destinées. On sait que les objets de traite qui réussissent le mieux chez les sauvages de la côte Nord-Ouest d'Amérique, sont les couvertures de laine, les draps bleus, blancs et rouges à longs poils, le tabac, l'eau-de- vie, le biscuit, les fusils, la poudre de guerre, &c. Ceux que 'l'on a coutume de porter aux Sandwich consistent en munitions navales et de guerre, en étoffes, liqueurs fortes, et en quelques piastres. Ce dernier article a fait naître chez les habitans une idée de la mesure des valeurs; aussi, quoiqu'en réalité la plupart des marchés se fassent par échange, le prix des objets dont on traite est ordinairement établi en argent monnoyé. (1) Le pikoi vaut environ 60 kilogrammes 1/2. (voyez pour plus d'exactitude la page 704 du 1er volume de cette histoire.) |
Que deviendra le commerce des Sandwich, lorsque le bois de sandal, qui offre à l'avidité des spéculateurs un attrait si puissant, aura été épuisé Déjà les difficultés sont grandes pour s'en procurer: chaque bûche doit être portée à dos d'homme au travers des forêts et des précipices, où aucun chemin n'a encore été tracé, et sous le ciel le plus ardent. Les bois se détruisent, et il ne paroît pas qu'on doive s'occuper de longtemps du soin de les repeupler. Je ne connois point le produit de la pêche des perles; mais outre qu'elles paroissent être de peu de valeur, n'est - il pas probable que les bancs où séjournent les huîtres qui les fournissent et qui donnent aussi la nacre, finiront tôt ou tard par être dépeuplés? Le sel est, au contraire, un objet d'exportation qui peut augmenter d'importance par la suite. Les viandes et le poisson salés, connus des naturels bien avant l'arrivée des Européens, et dont ifs ont déjà vendu de petites quantités aux vaisseaux en passage, pourront peut-être devenir plus tard, et lorsque les gros bestiaux se seront convenablement multipliés, la source d'un négoce lucratif. Aujourd'hui la vénte des rafraîchissemens qui sont fournis aux navires en relâche, doit être considérée comme d'un bon rapport; mais ce sont les chefs de file qui s'en sont arrogé le monopole, et ils mettent beaucoup d'insistance à ne recevoir que des piastres en paiement. §. XI.
Gouvernement.
Autant que nous avons pu le comprendre, non-seulement le pouvoir du roi est ici absolu, mais la monarchie est héréditaire, et peut, dans quelques cas, être dévolue aux femmes, qui, d'ailleurs, jouissent par-tout de l'autorité que leur donne leur naissance. Parmi les officiers qui entourent le roi, le premier ministre est plus particulièrement chargé de tout ce qui a trait à la politique, à la guerre et à l'administration générale. Un trésorier s'occupe de la levée des impôts et des taxes, qui se paient toujours en nature; un ministre qu'on |
pourroit appeler des affaires domestiques, ou intendant de la maison du roi, a dans son département totit ce qui intéresse la nourriture et l'entretien des gens qui appartiennent au souverain. Les îles principales, Owhyhi, Mowi, Wahou et Atouaï, ont chacune un gouverneur ou chef supérieur, auquel les îles voisines sont soumises. La noblesse du premier et du second ordre est héréditaire; les fonctions du sacerdoce le sont aussi; cependant le roi peut, lorsqu'if le juge à propos, conférer à un chef un rang plus élevé que celui où il est né. La législation est simple, et fondée en grande partie sur le tabou ou interdiction sacrée: la mort est le châtiment réservé au téméraire qui oseroit transgresser ses redoutables statuts: Il y a des tabous perpétuels, d'autres qui sont accidentels et temporaires. "Dans les derniers temps du règne de Taméhaméha, dit M. Guérin, la peine capitale pour les infractions du tabou, dans des cas de peu d'importance, pouvoit être commuée en une simple amende. Ainsi une jeune fille qui auroit été vue mangeant des cocos, des bananes, des tortues, &c., mets défendus pour elle, avoit l'espoir de conserver la vie en donnant une ou plusieurs brasses d'étoffe, quelques nattes, &c." Un homme du peuple convaincu d'adultère avec la femme d'un chef est puni par l'extirpation d'un oeil, ou des deux yeux, selon le rang du mari outragé: la vindicte publique, à ce qu'il paroît, n'atteint point la complice. On ne meurt pas de ce supplice horrible, dont il. faut avoir vu des victimes pour croire qu'on puisse y survivre. Le meurtre, la révolte, le vol d'un objet appartenant au roi, &c., sont punis de la peine capitale. L'exécution d'un condamné se fait de deux manières: tantôt on l'étrangle en lui serrant le cou contre un arbre, avec une corde que deux hommes tiennent et qu'ils tirent avec. force, chacun par un bout, en tournant dans un sens opposé autour du tronc; tantôt on lui écrase, d'un coup de massue, la the sur une pierre. Les fautes légères sont punies par des coups de pied ou des coups de corde. On peut dire, au reste, que, si les peines sont sévères, les délits sont très-rares aussi. Tous les chefs qui possèdent un fonds de terre, doivent un tribut au |
gouverneur de l'île dans laquelle leur propriété est située; ils s'en font payer un, à leur tour, par les fermiers ou les paysans qui cultivent pour eux. Les gouverneurs doivent aussi au roi une redevance annuelle. Ces tributs consistent en bois de sandal, pirogues, bois de construction, cochons, chiens, poissons secs ou salés, poules, végétaux, poé, filets, nattes, étoffes, plumes de couleur, paniers, calebasses, &c., que l'on donne en quantité plus ou moins forte, suivant la richesse du contribuable. Le roi, dit-on, avoit dans ses caisses, en 1819, une somme de 300 000 piastres en argent comptant, ou environ un million et demi de notre monnoie. Ses revenus en ce genre s'augmentoient des droits d'ancrage imposés aux navires de commerce qui séjournoient à Wahou; on payoit 60 piastres pour le mouillage en rade, 80 pour entrer dans le port; une piastre, dont la moitié lui étoit dévolue, pour avoir un pilote. Ii est problable que, pour jouir du droit d'abattre en carène, les navires étoient aussi soumis à une subvention particulière, afin de pouvoir faire usage du ponton destiné à cet objet. En cas de guerre, tous les hommes capables de servir sont appelés à la défense commune. Des lances de diverses sortes (pl. 90), les unes à pointe barbelée (fig. 3), les autres à pointe plate (fig. 5); des javelots (fig. 4); des pieux servant aussi d'instrument d'agriculture (fig. 6); des frondes tissues en kair ou en cheveux; des poignards ou dagues en bois dur, nommés pahoa: telles étoient les armes offensives des anciens guerriers sandwichiens. Déjà le capitaine Cook avoit remarqué que leurs arcs et leurs flèches étoient trop foibles pour être employés utilement à la guerre; nous en avons porté le même jugement. Peut-être, ainsi que nous l'avons dit (pag. 609), s'en servoient-ils uniquement à la chasse des oiseaux qui leur fournissent des plumes colorées. Soumis à une sorte de tactique militaire, ils savoient construire en pierres amoncelées des espèces de camps retranchés. Les femmes suivoient l'armée, et portoient des calebasses pleines d'eau, et des provisions de bouche pour réparer, après l'action, les forces des combattans; elles s'occupoient aussi du pansement des blessés. |
Sous le règne de Taméhaméha, les canons, les fusils et les armes blanches d'Europe furent introduits aux Sandwich; il s'y en trouvoit un assez grand nombre quand nous visitâmes ces parages. Une belle batterie de vingt-deux canons, du calibre de 22, tous montés sur affûts marins, étoit établie à Kayakakoua, près du débarcadère au Nord de la baie; deux petits mortiers èn cuivre se trouvoient placés devant la maison de la princesse Kéohoua. Toute cette artillerie paroissoit être en bon état, ainsi que les ustensiles propres à son service. Quelques canons, dont nous ne pûmes connoitre le nombre, garnis- soient en outre la plage de Kohaïhaï. "L'entrée du port d'Onorourou, dit M. Guérin, étoit défendue par une forteresse quadrangulaire très-vaste, entourée de murs crénelés, ayant de cinq à dix pieds de hauteur, suivant l'inégalité du terrain. Les pièces d'artillerie qui arment cette forteresse sont pour la plupart des caronades de 24 et de 32, placées dans des embrasures beaucoup trop ouvertes; néanmoins les soldats destinés à les manoeuvrer pourroient être passablement à l'abri derrière les parapets et les palissades. Nous ne sommes point entrés dans ce fort, et nous n'avons pu Juger par conséquent de sa disposition intérieure: on y comptoit cinquante-quatre bouches à feu." Les fusils étoient en grand nombre entre les mains des insulaires et dans les magasins du roi; il y avoit aussi une immense quantité de poudre de guerre. . Le pavilion sandwichien, tel que nous l'avons vu flotter à Kohaïhaï et sur le fort d'Onorourou, se composoit d'un yacht anglais, sur un fond rayé horizontalement de neuf bandes alternatives, blanches, rouges et bleues: le blanc étoit placé le plus haut et le yacht à l'angle supérieur, près la ralingue. Il nous reste à dire un mot de la marine des naturels. A l'époque où nous visitâmes ces parages, on comptoit aux Sandwich cinq brigs (1) de 90 à 100 tonneaux, un nombre égal de goélettes du port de 60 à 70, et une dixaine de cutters de 20 tonneaux environ; été tout 20 navires à formes européennes: les brigs avoient été vendus par les spéculateurs anglo-américains; le reste sortoit des chantiers du roi, où ils avoient (1) Trois de ces brigs étoient à Onorourou, un quatrième dans la baie de Waïtia sur l'île Owhyhi, le cinquième à Atouaï. (Voyez plus haut, page 548.) |
été construits par les naturels eux - mêmes, sous la direction de charpentiers étrangers. M. Guérin a compté plus de quatre cents pirogues à Kayakakoua et plus de six cents à Kohaïhaï, indépendamment de celles qu'on eût pu réunir tant à Wahou qu'à Mowi, Atouaï, et sur d'autres points d'Owhyhi même. On assure, ce qui n'est pas dénué de vraisemblance, qu'en temps de guerre des flottes formidables de pirogues doubles armées peuvent être mises en mer. |
Notes.
Louis Claude de Saulces de Freycinet (7 August 1779 – 18 August 1841) was a French Navy officer. He circumnavigated the earth, and in 1811 published the first map to show a full outline of the coastline of Australia. . . . .
In 1817, he was given command of the corvette Uranie, especially reconfigured to a new exploration voyage. Uranie carried several members of the Navy scientific staff, notably marine hydrologist Louis Isidore Duperrey, artist Jacques Arago, and his junior draughtsman Adrien Taunay the Younger. Uranie sailed to Rio de Janeiro to take a series of pendulum measurements gather information in the fields of geography, ethnology, astronomy, terrestrial magnetism, meteorology, and for collecting specimens in natural history. Freycinet also managed to sneak his wife Rose de Freycinet aboard. For three years, Freycinet cruised about the Pacific, visiting Australia, the Mariana Islands, Hawaiian Islands, and other Pacific islands, South America, and other places, and, notwithstanding the loss of Uranie on the Falkland Islands during the return voyage, returned to France with fine collections in all departments of natural history, and with voluminous notes and drawings of the countries visited. The results of this voyage were published under Freycinet's supervision, with the title of Voyage autour du monde fait par ordre du Roi sur les corvettes de S. M. l'Uranie et la Physicienne, pendant les années 1817, 1818, 1819 et 1820, in 13 quarto volumes and 4 folio volumes of plates and maps. Freycinet was admitted into the French Academy of Sciences in 1825, and was one of the founders of the Paris Geographical Society. He died at the family's château de Freycinet[7] near Saulce-sur-Rhône, Drôme. |
Source.
Louis-Claude de Saulces de Freycinet (1779-1842).
This transcription used the volume at Google Books.
Last updated by Tom Tyler, Denver, CO, USA, Mar 16, 2023
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