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168 L'UNIVERS.


ILES GALAPAGOS.

      L'archipel des Galapagos se coinpose d'une quinzaine d'îles, dont cinq sont incomparablement plus grandes que les autres. Il est situé dans l'océan Pacifique, à cinq ou six cents milles à l'ouest de la côte du continent américain, immédiatement sous la ligne équatoriale. Explorées par Dampier, en 1684, et, pendant ces dernières années, par les compagnons des capitaines Parker-King et Fitz Roy, ces îles sont inhabitées, à l'exception d'uns seule, et ne sont fréquentées que par les navires baleiniers, qui viennent y renouveler leur provision d'eau et de viande. Quoique les traités de géographie ne leur accordent que quelques mots, on nous permettra de donner un peu plus d'espace à la description de ce groupe intéressant, qui, sous certains rapports, mérite tout autant d'être connu que d'autres parties du globe.

      Les principales îles de cet archipel sont, par ordre de grandeur, Albemarle, Narborough, James, l'île Infatigable, l'île Chatham, l'île Charles, File Hood, Barrington, Duncan, Jervis, Abingdon et Bindloes.

      Volcans. La constitution de rarchipel tout entier est volcanique, à l'exception de quelques fragments de granite qui ont été vitrifiés et altérés de la façon la plus bizarre par l'ardeur des feux souterrains; tout y est lave et pierre à sablon résultant du broiement de cette substance. Les îles les plus hautes, c'est-à-dire celles qui atteignent une élévation de trois ou quatre mille pieds, ont généralement un ou plusieurs cratères dans leur partie centrale, et leurs flancs offrent des orifices plus petits. On peut évaluer à deux mille au moins le nombre des bouches de volcans qui existent dans ces îles. Ces ouvertures sont de deux sortes: les unes sont tapissées de scories et de laves; les autres de pierres à sablon volcanique magnifiquement stra tifiées. Ces dernières sont presque toutes de forme admirablement symétrique: elles ont été produites par l'éjection de l'espèce de boue composée de cendres et d'eau sans lave qui sort ordinairement dans les éruptions.

      Rien n'est plus sauvage et plus horrible que l'aspect des courants de lave les plus récents. On les a comparés avec raison à une mer qui aurait été tout à coup immobilisée etétrifiée au milieu d'une tempête. Il faut dire cependant que la mer n'offre ni des ondulations aussi irrégulières, ni des ouvertures aussi profondes. La vue de cette espèce de chaos ferait croire que l'on foule la terre où les cyclopes de la fable avaient établi leur séjour.

      Tous les cratères dorment aujourd'hui, et quoique l'ôge des différents courants de lave soit facilement appréciable, il est à présumer que ces orifices sont depuis plusieurs siècles dans l'état où on les voit actuellement. Aucun ancien voyageur ne dit avoir vu de volcans en activité dans cet archipel. Cependant, depuis l'époque où Dampier le visita, il doit y avoir eu accroissement de végétation, autrement un écrivain aussi consciencieux ne se serait pas exprimé ainsi: n Quatre ou cinq des îles les plus orientales sont rocailleuses, nues, montagneuses, et ne produisent ni arbre, ni plante, ni herbe, à l'exception de quelques dildos ( espèce de cactus ). » Cette description n'est aujourd'hui applicable qu'aux îles occidentales, parce que là les forces cachées des volcans sont encore énergiques.

      Climat. Les îles Galapagos jouissent d'un climat moins chaud qu'on ne le supposerait d'après leur situation sous l'équateur. Cette circonstance tient liprobablement à la température singu- èrement basse de la mer qui les baigne. Les pluies v sont rares, excepté durant la mauvaise saison, qui est fort courte; toutefois il est à remarquer

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que les nuages y sont généralement bas et lourds. Il résulte de ces particularités que les parties inférieures de ces fies sont extrêmement arides, tandis que leurs plateaux, élevés à mille pieds et plus, sont couverts d'une végétation vigoureuse. On remarque surtout l'abondance des arbres et des plantes dans la partie de ces sommets située du côté du vent, cette partie recevant la première l'humidité de l'atmosphère qui y reste quelque temps condensée.

      Ce que Dampier dit du climat des Galapagos est exact. Colnett, qui a aussi donné une bonne description de cet archipel peu connu, considère ce climat comme un des plus délicieux du monde entier, quoiqu'on ne se trouve qu'à quelques milles de l'équateur.

      Histoire naturelle. L'histoire naturelle de cet archipel est très-intéressante. Les tles Galapagos semblent former à elles seules un monde tout entier, tant est grand le nombre des végétaux et des animaux qui y vivent; monde primitif assurément, car les oiseaux y sont sieu habitués à la vue des hommes, qu'ils viennent voltiger autour d'eux et ne s'inquiètent en aucune façon des pierres qu'on leur lance. Plusieurs voyageurs ont pu abattre avec un bâton des milliers de ces confiants animaux.

      Le règne végétal offre plusieurs espèces nouvelles, mais peu intéressantes. Parmi les végétaux utiles qui croissent dans quelques-unes de ces îles, notamment à l'île Charles, on peut citer le plantain, la citrouille, le manioc, l'oranger, le palma-christi, le melon, la banane, la canne à sucre et les patates.

      Parmi les animaux, nous citerons d'abord une espèce de souris qui, par la largeur de ses oreilles et d'autres caracteres distinctifs, forme une section du genre particulier aux régions stériles de l'Amérique du Sud. Les oiseaux y sont petits et d'un plumage triste. On y trouve les tortues en quantité innombrable (*). Comme les moeurs de ce reptile offrent des détails curieux, nous donnerons la traduction exacte du passage que M. Darwin consacre à ce sujet dans le 3° volume de la Relation du voyage du capitaine King:

      « Ces animaux habitent la plupart.des Iles de cet archipel, si ce n'est toutes. Ils sont si nombreux que, suivant Dampier, cinq ou six cents hommes pourraient subsister de leur chair pendant plusieurs mois sans avoir d'autre aliment. Ils fréquentent de préférence les lieux élevés et humides. Quelques individus atteignent une grosseur prodigieuse; M. Lanson, sujet anglais qui, à l'époque du voyage du Beagle, avait la direction de la colonie de l'île Charles, nous dit qu'il en avait vu quelques-uns si énormes, que sept ou huit hommes suffisaient à peine pour les enlever de terre, et que plusieurs ont donné jusqu'à deux cents livres de chair. Les vieux mâles sont les plus gros; les femelles restent généralement plus petites. Les premiers peuvent être facilement distingués des seconds par la longueur de leur queue. Les tortues qui vivent dans les terrains privés d'eau ou dans les parties basses et arides de ces îles, se nourrissent principalement de la substance succulente du cactus; celles qui fréquentent les plateaux élevés et humides mangent les feuilles de différents arbres, une baie acide nommée guayavita et un lichen filamenteux qui pend en longues guirlandes le long des arbres.

      « La tortue aime beaucoup l'eau; elle en boit d'énormes quantités et se plaît beaucoup dans la vase. Comme les îles les plus grandes renferment seules des sources, et comme ces sources sont toujours situées sur les sommets les plus élevés des parties centrales, les tortues qui vivent dans les districts inférieurs sont obligées, quand elles ont soif, d'accomplir de longs voyages pour se désaltérer. Aussi aperçoit-on dans toutes les directions, à partir du bord de la mer, des sentiers larges et bien battus conduisant dans l'intérieur des îles; c'est en suivant ces chemins


      (*) Le mot Galapagos, qui est espagnol, signifie tortue.

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que les Espagnols découvrirent les aiguades des Galapagos. Quand je débarquai à l'île Chatham, je ne pouvais comprendre quel était l'animal qui voyageait si méthodiquement. En arrivant près des sources, j'aperçus un curieux spectacle: de nombreuses tortues, géants de leur espèce, entouraient les réservoirs d'eau douce; l'une s'avancait avec ardeur et le cou tendu vers' le bassin, l'autre s'en retournait satisfaite après avoir bu largement. Lorsque l'animal arrive à la source, sans s'ihquiéter des objets ni des gens qui l'entourent, il plonge sa tête jus- qu'aux veux dans la fontaine, et aspire de grandes gorgées d'eau ( dix par minute ). Les habitants disent que le reptile reste trois ou quatre jours dans le voisinage des fontaines et retourne ensuite aux terres basses; mais ils ne sont pas d'accord sur le nombre et la fréquence des voyages; il est probable que l'animal se déplace plus ou moins souvent, selon la nature de son alimentation. Cependant il est certain que les tortues peuvent vivre même sur les Îles où l'on ne trouve d'autre eau que celle qui tombe pendant les quelques jours pluvieux de l'année.

      « Il est, je crois, bien constant que la vessie de la grenouille sert de réservoir pour conserver le liquide nécessaire à l'existence de l'animal. La tortue semble être douée du même privilege, car la vessie de ce reptile reste disten- due par le fluide, même un certain temps après un voyage aux sources, et l'eau diminue graduellement en devenant moins pure (*). Quand les habitants de l'île Charles se trouvent dans les basses terres, et sont tourmentés par la soif, ils sont dans l'usage de tuer une tortue, et si, par bonheur, la vessie est pleine, ils en boivent le contenu. J'ouvris un de ces animaux, et j'y trouvai l'eau parfaitement limpide, elle avait seulement contracté une saveur légèrement amère. Disons toutefois que les colons boivent d'abord l'eau contenue dans le péricarde, parce qu'elle est plus pure.

      « Les tortues, lorsqu'elles se dirigent vers un point détertniné, marchent le jour et la nuit, et atteignent le but de leur voyage beaucoup plus tôt qu'on ne le croirait. Les habitants, d'après des observations faites sur des individus marqués d'un signe spécial, ont calculé que ces lourds animaux peuvent parcourir un trajet d'environ huit mil- les en deux ou trois jours. J'observai moi-même une tortue qui marchait, et je trouvai qu'elle cheminait à raison de soixante yards par dix minutes, ce qui fait trois cent soixante par heure, et quatre milles par jour, en distrayant le temps nécessaire pour prendre quelque nourriture en chemin.

      Pendant la saison de la ponte, le mâle pousse un cri rauque qu'on distingue à plus de cent yards. La femelle reste toujours silencieuse, et le mâle ne fait entendre sa voix que dans cette occasion; de sorte que quand les colons entendent ce bruit bien connu, ils savent que le couple est réuni. C'est dans le mois d'octobre que la ponte a lieu. La femelle, dans les endroits sablonneux, dépose ses œufs tous ensemble et les couvre de sable; mais là ou le sol est rocailleux, elle les met tout simplement dans un trou. L'oeuf est blanc et sphérique; j'en mesurai un qui avait plus de sept pouces de circonférence. Les petits, dès qu'ils sont éclos, deviennent pour la plupart la proie des bttzards. Les vieilles tortues paraissent généralement mourir par accidents, tels qu'une chute dans un précipice. Plusieurs colons m'ont dit n'en avoir jamais trouvé de mortes qui ne portassent les marques de quelque, coup violent.


      (*) M. Fitz-Roy, dans le volume du journal de la mime expedition qui porte son nom, donne sur les tortues des Galapagos des détails qui s'accordent en tous points avec ceux que nous devons à son compagnon de voyage M. Darwin, et y ajoutent peu de chose. Au sujet de la faculté dont jouissent les tortues de conserver longtemps dans leur estomac ou leur vessie l'eau nécessaire à leur subsistance, il dit que, d'après les assertions des gens du pays, ces animaux peuvent rester six mois et plus sans renouveler leur provision intérieure de liquide, et sans retourner à l'aiguade.

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      « Les habitants croient ces animaux complétement sourds; ce qu'il y a de certain, c'est qu'ils n'entendent pas une personne marchant immédiatement derrière eux. Je m'amusais toujours, lorsque je surprenais un de ces monstres suivant tranquillement son chemin, à le voir, aussitôt qu'il m'apercevait, pousser un fort sifflement, cacher brusquement sa tête et ses pattes, et se laisser tomber lourdement à terre avec un bruit sourd, comme si la mort l'avait subitement frappé. Je montais souvent sur leur dos, et, en donnant quelques coups sur la partie de l'écaille Voisine de la queue, ils se levaient et marchaient; mais j'avoue que j'avais beaucoup de peine a garder l'équilibre sur cette étrange monture.

      « La chair de la tortue est très-recherchée, fraîche aussi bien que salée, et sa graisse fournit une huile extrêmement pure et transparente. Quand on prend un de ces animaux, on lui fait une incision à la peau près de la queue, de façon à voir dans l'intérieur de son corps, et à vérifier si la couche de graisse qui s'étend sous l'écaille dorsale est épaisse. Si elle ne l'est pas, la tortue est délivrée, et l'on dit qu'elle se remet très-promptement de cette singulière opération. Pour empêcher ces reptiles de s'échapper, iJ ne suffit pas de les renverser sur le dos, car ils parviennent souvent à reprendre leur position naturelle.

      « Cette espèce de tortue, connue sous le nom de testudo indicus, se trouve aujourd'hui dans plusieurs autres parties du monde. Suivant plusieurs savants qui ont étudié les reptiles, il est à présumer que ces animaux tirent tous leur origine de l'archipel des Galapagos. Du moment où l'on sait combien ces Îles ont été fréquentées par les boucaniers, et que les tortues étaient enlevées en vie et en très-grand nombre par ces aventuriers, il y a toute_ raison pour supposer qu'elles ont été distribuées dans différents pays lointains. »

      La tortue n'est pas le seul reptile qui vive dans les Îles Galapagos. On y trouve aussi deux espèces de lézards, l'une terrestre, l'autre marine, et quelques espèces de serpents non venimeux. Ce qu'il y a de surprenant, c'est qu'il n'y ait ni crapauds ni grenouilles. Ce fait est d'autant plus étrange, que les bois humides des plateaux élevés de cet archipel paraissent convenir merveilleusement aux habitudes de ces animaux. Ceci nous rappelle que M. Bory de Saint-Vincent, dans son voyage aux Îles d'Afrique, dit qu'aucun animal de cette famille ne vit dans les îles volcaniques des grands océans. Cette observation n'est assurément pas sans fondement, et elle acquiert plus d'intérêt quand on la compare avec celle qu'on a faite sur les lézards, qui se trouvent toujours au nombre des premiers habitants des plus petits îlots. Cette différence ne viendrait-elle pas de ce que les œufs des sauriens, protégés par une enveloppe calcaire, peuventêtre sans inconvénient transportés d'un lieu dans un autre, par les flots de la mer, tandis que le frai visqueux des batraciens ne peut supporter l'immersion prolon- gée dans l'eau salée i' Une dernière observation complétera ce que nous avions à dire sur l'histoire naturelle des Galapagos. Ces Îles sont moins remarquables par le nombre des espèces de reptiles qu'elles renferment, que par le nombre des individus. En voyant les sentiers tracés par des milliers de tortues monstrueuses, les garennes des lézards terrestres, et les groupes nombreux du saurien aquatique étendus au soleil sur les rochers du rivage, on est forcé d'admettre que dans aucun autre espace du globe cet ordre d'animaux ne remplace les mammifères avec une abondance aussi extraordinaire. Il ne faut pas perdre de vue que cet archipel, au lieu de subir l'influence d'un climat humide et de posséder une végétation vigoureuse, doit être considéré comme généralement aride et très-tempéré, eu égard à sa position sous la ligne équatoriale. Ce spectacle ne peut-il pas rappeler au géologue l'époque de la création, où les sauriens acquéraient des dimensions qu'on ne peut aujour-

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d'hui comparer qu'à celles des mammifères cétacés?

      Description particulière de quelques îles.Ile Charles. Cette île, nommée la Floriana par les habitants de Guayaquil, et Santa-Maria de l'Aguada par les Espagnols, a été, comme tout l'archipel dont elle fait partie, longtemps fréquentée par les boucaniers, et l'est encore par les pêcheurs qui poursuivent la baleine dans l'océan Pacifique. En 1832, la république de l'Équateur résolut de faire des Galapagos, qui lui appartiennent, un lieu de déportation, et envoya en conséquence une petite colonie a l'île Charles. Don José Villarmil fut nommé' gouverneur du nouvel établissement, et M. Nicolas Lawson, Anglais de nation, fut chargé d'aller le représenter et d'exercer ses fonctions. A l'époque du voyage du capitaine King, la colonie comptait environ quatre-vingts petites maisons ou cabanes, et deux cents habitants, la plupart condamnés politiques et hommes de couleur. L'établissement est placé à quatre milles dans l'intérieur des terres, à une hauteur qui ne peut être évaluée à moins de mille pieds. Il est entouré d'une végétation abondante. En arrivant à ce village, on éprouve une surprise des plus agréables. Après avoir souffert cruellement de la chaleur et de la fatigue pendant un long trajet sur des pierres volcaniques et à travers des bois brûlés par le soleil, ce n'est pas sans bonheur qu'on se sent tout à coup rafraîchi par une brise légère, et qu'on repose ses yeux sur une plaine cultivée dont l'aspect seul indique la fertilité. La vue de la végétation tropicale qui vous environne, des bananiers, des cannes à sucre, du blé d'Inde, des patates douces, et des autres plantes qui croissent avec abondance dans cet endroit privilégié, vous fait douter que vous soyez dans cette même île où vous avez tout à l'heure aperçu tant d'objets attristants. Il pleut très-souvent sur ce plateau, et le sol qui reçoit l'eau fécondante du ciel est de nature à conserver longtemps l'humidité qu'elle y développe. Pendant l'hivernage, cette lplaine se couvre de boue, tandis que es pluies peu abondantes qui tombent dans le district inférieur sont si promptement absorbées, ou s'infiltrent si vite à travers les pierres de lave, que leurs effets ne sont pas sensibles.

      Quoique la plupart des colons soient venus a l'île Charles contre leur gré, il en est beaucoup qui n'ont aucun désir de retourner sur le continent. Quelques-uns sont mariés et ont eu des enfants dans l'île même. Tous tirent sans peine du sol fertile qu'ils exploitent, leurs moyens de subsistance. Ils trouvent, en outre, dans les bois des cochons et des oies sauvages, et les tortues leur fournissent un aliment aussi agréable que salutaire. On raconte qu'un vieux marin vécut plusieurs années dans une petite caverne voisine de la fontaine nommée Governor's Dripstone; il y avait oublié ses malheurs et le monde; les tortues et les patates composaient son ordinaire. Cet homme était si attaché à sa caverne, que lorsqu'un de ses anciens amis, arrivé aux Galapagos sur sa baleinière, le reconnut et I emmena de force, il ne put s'empêcher de répandre des larmes.

      Ile Chatham. Cette île, comme toutes les autres, offre des restes nombreux d'anciens cratères. Rien n'est moins attrayant que l'aspect de ce lieu. Le regard ne rencontre que de vastes étendues de lave basaltique noirâtre, couvertes de broussailles desséchées. Ce qu'il y a de particulier, c'est que ces espaces brillés par les rayons d'un soleil dévorant répandent dans l'air une odeur suffocante, semblable à celle qui s'exhale d'une étuve; les broussailles même sentent mauvais.

      Les bois clair-semés qui couvrent les parties basses de toutes ces îles, excepté là où la lave a récemment coulé, paraissent, à une certaine distance, être privés de feuillage, comme les arbres de l'hémisphère boréal durant l'hiver. Ce n'est que quelques instants après qu'on s'aperçoit que chaque plante est chargée de sa parure verdoyante.

      Ile Albemarle. C'est l'une des plus tristes et des plus sauvages de tout cet archipel. Elle renferme un lac salé,

Ile Charles

ILES GALLAPAGOS: Ile Charles

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Ile Chatham

ILES GALLAPAGOS: Aiguade dans l'ile Chatham

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qui produit du sel en assez grande quantité; l'eau de ce lac n'a que trois ou quatre pouces de profondeur, et s'étend sur un fond de sel cristallisé, d'une blancheur éclatante. La saline est parfaitement circulaire et bordée de plantes touffues. Les bords abrupts du cratère sont aussi tapissés d'arbrisseaux. Ce lieu désert est un des plus pittoresques qui existent dans les Galapagos. C'est là que les matelots d'un vaisseau pêcheur tuèrent, il y a quelques annees, leur capitaine; les naturalistes du Beagle trouvèrent dans les broussailles le squelette de la victime.

      On voit que les îles Galapagos, malgré la beauté de leur climat, sont un fort triste séjour. Cependant ce que nous en avons dit suffit pour prouver que l'industrie humaine pourrait leur faire subir la plus heureuse transformation. Mais la république de l'Équateur est trop occupée de sesaffairesintérieures pour songer de longtemps à coloniser utilement pour elle – même cet intéressant archipel. Il faudrait, en attendant, que ces îles eussent le bonheur de trouver un spéculateur entreprenant, qui se chargeât de les fertiliser à ses risques et périls, et moyennant une redevance payée au gouvernement. C'est ce qui est arrivé aux îles de Juan Fernandez, qui, au moment où nous écrivons, sont sans doute, et grâce à un hasard heureux, en pleine voie de prospérité. M. Francis Lavallée, vice- consul de France au Chili, dans une lettre écrite en 1836 et insérée dans les Annales maritimes, nous a appris que l'ancienne résidence de Robinson Crusoe était devenue la propriété d'un citoyen américain qui l'a affermée pour un grand nombre d'années. Cette Île avait servi de dépôt pour les condamnés politiques; mais les dépenses qu'entraînait cet établissement et le nombre croissant des prisonniers déterminèrent le gouvernement chilien à renoncer a cette idée. Le spéculateur en question avait le projet, à l'époque où M. Lavallée écrivait sa lettre, d'y émigrer et d'y amener cent dix familles des îles Sandwich, dans le but de cultiver le sol et d'élever des bestiaux. Mais le plan de ce roi des Îles Fernandez ne se bornait pas à cela: il avait l'intention d'établir des bouées dans le principal port, pour l'avantage des baleiniers, et de fournir ses magasins de tous les objets dont les marins en relâche sur ces côtes peuvent avoir besoin. Il voulait aussi, pour utiliser ses capitaux, escompter les traites des pêcheurs. Nul doute que ce projet de colonisation ne réussisse dans un pays aussi favorisé de la nature sous tous les rapports. Nul doute aussi qu'une pareille tentative, faite dans certaines îles de l'archipel des Galapagos, ne fût couronnée de succès. Mais quel sera le capitaliste d'Amérique ou d'Europe qui concevra l'idée d'aller donner la vie à ces îlots perdus au milieu de l'océan Pacifique?



Notes.

Jean-Baptiste Geneviève Marcellin Bory de Saint-Vincent was a French naturalist, officer and politician. He was born on 6 July 1778 in Agen (Lot-et-Garonne) and died on 22 December 1846 in Paris. Biologist and geographer, he was particularly interested in volcanology, systematics and botany. The standard author abbreviation Bory is used to indicate this person as the author when citing a botanical name.

Wikipedia           


A Catalan/Spanish edition was published in 1842.

Source.
Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent.
      Histoire et description des iles de l'océan.
Paris: Firmin Didot frères, 1839.
pp. 168-173.

This transcription was made from the volume at Google Books.


Last updated by Tom Tyler, Denver, CO, USA, May 9, 2023

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